Archives pour juin, 2011

Le destin dans le berceau

 

En échos aux débats suscités suite aux fuites du bac…ce texte de Camille Peugny dont je vous recommande vivement la lecture.

La « fuite » d’un exercice de l’épreuve de mathématiques du baccalauréat scientifique a de nouveau déchaîné les contempteurs de la massification scolaire. A quoi bon de toute façon, clament-ils en substance partout, maintenir un examen vidé de sa substance puisque « donné à tout le monde ». Les élèves sont mauvais, le niveau baisse, le baccalauréat ne vaut plus rien, les jeunes ne savent plus écrire trois mots sans commettre dix fautes d’orthographe, la France prend l’eau.

Il faut inlassablement répéter que non, 80% d’une génération n’obtient pas le baccalauréat puisque depuis quinze ans ce taux reste bloqué légèrement en dessous des 65%. Inlassablement répéter que parmi les enfants d’ouvriers nés entre 1981 et 1985, seuls 50% ont obtenu leur baccalauréat et seuls 35% un baccalauréat général ou technologique. La massification scolaire est donc loin d’être achevée, et non, « on ne donne pas le baccalauréat à tout le monde ». Mais ces critiques sont également insupportables pour le « racisme social » qu’elles véhiculent. L’âge d’or du baccalauréat auquel on se réfère, lorsque seuls 10% d’une génération obtenaient le parchemin, est un âge fondamentalement inégalitaire où seuls les enfants riches du patrimoine économique et culturel de leurs parents fréquentaient le lycée. Les nouveaux bacheliers des années 1980 et 1990 sont des bacheliers populaires : pour les beaux esprits, ils ont évidemment fait baisser le niveau. Ce débat est vieux comme le monde. « Les copies fourmillent de fautes de langage et d’orthographe; il semblerait qu’on n’apprenne plus la langue française » pestait Le Doyen des lettres à Bordeaux en… 1864, et je vous épargne la très connue citation de Socrate à ce sujet. Qu’on l’accepte ou non, le niveau général de connaissance de la population ne cesse d’augmenter car des dizaines de milliers d’élèves chaque année poursuivent des études dont ils étaient jadis largement exclus. Parmi les enfants d’ouvriers sortis de l’école depuis 5 à 8 ans en 2009, 75% exercent un emploi d’ouvrier ou d’employé, soit une diminution d’à peine 10 points en un quart de siècle. C’est bien ce constat insupportable, celui d’un degré de reproduction sociale insupportable dans la France du 21ème siècle qui doit interpeller, et non pas un débat vide de sens sur le niveau des bacheliers. Comment se fait-il, alors même que les taux de scolarisation des enfants des classes populaires ont considérablement augmenté au cours des dernières décennies, que les cartes ne soient pas plus radicalement redistribuées entre les générations ? Evidemment, les sociologues de l’éducation ont apporté beaucoup de réponses. Si les enfants des classes populaires accèdent au collège puis au lycée, alors les inégalités se déplacent plus loin dans le système scolaire mais ne disparaissent pas. Par ailleurs, la filiarisation croissante des différents niveaux d’enseignement à partir du deuxième cycle de secondaire transforment des inégalités « quantitatives » (en termes de niveau d’étude) en inégalités « qualitatives » (le type d’études, la nature du diplôme).Mais il faut aussi prendre en compte l’élitisme échevelé de l’école française, qui dès le plus jeune âge, évalue, note et classe les élèves, alors même que ces premières années de scolarité sont fondamentales : même si les inégalités sociales de réussite sont déjà présentes, c’est à ce stade qu’elles sont les plus faibles puisqu’elles ne font qu’augmenter dans la suite du cursus. A rebours des politiques menées ces dernières années, la lutte contre les inégalités sociales de réussite et de cursus scolaires et ainsi la lutte contre la reproduction sociale passent par un effort considérable pour l’enseignement maternel et primaire. A ce prix, les quelque 150000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme cesseront d’être une fatalité. A ce prix, et si l’on reconnaît que l’école de la République dont se gargarisent certains n’est plus méritocratique depuis longtemps, alors peut-être aura-t-on les moyens de construire une école véritablement démocratique. A ce prix, le destin des individus cessera de reposer dans leur berceau.

                   Camille Peugny 

Précisions concernant le rapport sur le cannabis

- Légalisation sous contrôle ne veut pas dire légalisation, encore moins banalisation,
- Il faut changer et recrédibiliser le discours sur les méfaits du cannabis,  ce discours doit être plus réaliste et objectif.
- Le cannabis n’est pas un produit anodin, ce n’est pas un produit stupéfiant car on n’est pas plus stupéfait lorsqu’on fume un joint que lorsqu’on boit un verre, ses effets sont fonction de la dose,
- Le cannabis peut entraîner deux dépendances, une au tabac, l’autre au cannabis.
- L’économie souterraine et la criminalité associées au canabis sont très importantes et doivent être combattues.
- L’alcool comme le cannabis sont faiblement anxiolytiques et déshinibiteurs, de ce fait, ils aident certaines personnes et peuvent avoir un rôle social qu’il ne faut certes ne pas promouvoir  mais qu’il faut tout de même reconnaître.
- La non reconnaissance des possibilités thérapeutiques du cannabis révèle bien un dogmatisme sur le sujet qui est préjudiciable à tout le monde : aux malades, aux consommateurs de cannabis qui ne croient plus au discours sur les méfaits possibles du cannabis,…. .

- Le cannabis entraîne un désinvestissement social - En réalité, on ne sait pas bien si le désinvestissement dans la vie sociale constaté chez les consommateurs de cannabis est le fait du cannabis ou si c’est le fait d’un état de désinvestissement déjà installé (dépression, mal vivre, ….) ou encore, si le cannabis comme l’alcool accentue cet état de désinvestissement.
- La prohibition de l’alcool aux Etats-Unis n’a pas marché. Des pays musulmans où l’alcool est interdit, ont une économie souterraine de l’alcool et des problèmes d’alcoolisme.
- Le cannabis est l’étape de passage vers les drogues dures. C’est souvent le cas, ceux et celles qui vont vers les drogues dures très souvent ont commencé par fumer du tabac et du cannabis, boivent et prennent des médocs. Alors interdisons aussi le tabac et l’alcool, mais ce n’est pas pour autant parce que ces consommations sont associées ou qu’elles se suivent qu’il y a un rapport de cause à effet entre ces consommations. Quoique qu’avec le cannabis, il peut y en avoir un mais ce rapport de cause à effet est  « commercial » : le dealer de cannabis qui connaît son client lui proposerait par la suite des trucs plus forts, des drogues dure. La légalisation sous contrôle permettrait de limiter la co-commercialisation des drogues illicites.

Il ne fait pas bon être étranger en France…

La loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, composée de 111 articles, a été promulguée par le président de la République et vient d’être publiée au journal officiel de la République. Si Claude Guéant se dit extrêmement satisfait, je veux affirmer pourquoi je suis, au contraire, profondément outrée et inquiète pour les étrangers qui vivent en France ou qui souhaiteraient s’y installer. Le cadre législatif leurs est désormais, plus que jamais, hostile.

Comme le souligne Serge Slama (dans un article du 13 juin 2011, publié sur le blog Combats pour les droits de l’Homme) la protection législative des étrangers est d’une grande faiblesse. En effet, saisis  par les parlementaires de l’opposition,  le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 9 juin dernier, n’a prononcé qu’une seule censure au projet de cette loi adoptée par le sénat. Cette censure visait seulement la disposition exorbitante initiale du projet qui permettait de porter à dix-mois la durée de rétention administrative d’étrangers expulsés pour des activités à caractère terroriste après avoir purgé leur peine1 . La rétention administrative pendant une telle durée pouvant être considérée comme ayant un caractère pénal, cette disposition revenait ni plus ni moins à autoriser l’administration, le préfet,… sans contrôle juridique, à prononcer une sanction pénale. Cela donne une idée du ton et l’esprit qui ont présidé à l’élaboration de cette loi.

La suite >

  1. Tout en conservant néanmoins la possibilité de maintien de six mois en rétention contre 45 jour pour les autres étrangers. []