Dans les médias
Droits de l’homme ou droits humains
22/06/15
Vendredi 12 juin, Dominique Strauss-Kahn a donc été relaxé par le tribunal correctionnel de Lille dans l’affaire de proxénétisme du Carlton. En décembre 2015 aura lieu, à nouveau à Lille, un autre procès, celui d’Elvire Duvelle, Lara Alcazar et Esther Delamare, membres de l’association des Femen, pour exhibition sexuelle, parce qu’elles ont manifesté, torse nu, devant la voiture de DSK au moment de son procès. Si elles sont condamnées, les trois militantes seront qualifiées de délinquantes sexuelles. Cette condamnation, dans le Code pénal, relève des agressions sexuelles et implique des restrictions telles que l’interdiction de se trouver à proximité d’écoles ou en présence d’enfants.
Quand des hommes prennent la même initiative, ils ne peuvent pas être condamnés, simplement parce que le droit ne prévoit pas que le dénudement de leur torse constitue une agression sexuelle. En cela, le Code pénal traite inégalement les hommes et les femmes, en prêtant aux torses des femmes une dimension nécessairement sexuelle. Or la démarche de ces militantes est une démarche politique. Elles disent leur contestation d’un monde où les femmes sont presque partout en situation de dominées par rapport aux hommes, où elles sont régulièrement traitées comme des objets dans la réalité ou les représentations. On peut naturellement débattre des causes que ces militantes défendent, ou des modalités qu’elles ont choisies pour le faire. On peut même juger que leur militantisme est contre-productif et dessert la cause des femmes qu’elles prétendent porter. Il n’en reste pas moins que les femmes ne disposent pas des mêmes droits que les hommes en matière de nudité politique.
Souvent évoqué, l’argument de la pudeur ou de l’outrance pose problème lorsque l’on considère la régularité avec laquelle la publicité recourt à la nudité des femmes à des fins commerciales. Les différents supports utilisés occupent aussi bien l’espace public que les canaux télévisés à des heures de grande écoute. À la différence des militantes Femen, nombre de messages publicitaires jouent explicitement le registre sexuel, sans être condamnés.
Je n’insisterai pas sur l’ironie qu’il y a à ce que trois jeunes femmes qui militent contre la prostitution soient poursuivies pour exhibition sexuelle pour avoir manifesté torse nu au procès de Dominique Strauss-Kahn, qui lui-même est acquitté. On peut néanmoins, au minimum, s’interroger sur l’opportunité de cette condamnation, si elle avait lieu, dans le pays des droits de l’Homme (au sens de droits humains), à moins que la France ne soit que le pays des droits de l’homme.
Barbara Romagnan
Chronique publiée dans L’Humanité le 22 juin 2015
Gens du voyage et tous ensemble
16/06/15
L’image de Manuel Valls, premier ministre, socialiste, aux côtés de Christian Estrosi et Éric Ciotti, éminents « Républicains », refusant une répartition entre pays européens des demandeurs d’asile, ainsi que l’évacuation récente du camp de migrants de Paris dans des conditions pour le moins discutables, ne me semblent pas dire de belles choses de la France dans son rapport aux étrangers. Dans ce contexte, l’adoption de la proposition de loi portée par Dominique Raimbourg, député socialiste de Loire-Atlantique, sur les gens du voyage fait du bien. Les gens du voyage ne sont pas des étrangers, mais sont souvent considérés comme tels, confondus qu’ils sont avec les Roms.
Les premiers sont entre 350 000 et 400 000, français depuis le XVe siècle et attachés à l’itinérance, alors que les Roms, environ 20 000 en France, principalement roumains ou bulgares, sédentaires dans leurs pays d’origine, migrent pour fuir les discriminations. En tout état de cause, notre rapport aux gens du voyage me semble dire quelque chose de notre rapport à l’autre, celui qui n’est pas comme nous, celle qui ne vit pas comme nous. Créée par la loi du 3 janvier 1969, la catégorie des « gens du voyage » désigne les personnes vivant plus de six mois par an en résidence mobile terrestre, et âgées de plus de seize ans. Ce statut particulier pour ces citoyens pourtant français les contraint, jusqu’à présent, à avoir sur eux un livret de circulation à jour sous peine d’amende. Ces livrets ou carnets de circulation évoquent des souvenirs douloureux. En effet, le carnet anthropométrique (ancêtre plus contraignant et contestable de l’actuel carnet) a facilité le travail du régime de Vichy pour les enfermer dans des camps de concentration.
La proposition de loi, adoptée il y a quelques jours à l’Assemblée nationale, permet la suppression de ce livret de circulation, renforce le pouvoir des préfets pour la construction des aires d’accueil et facilite les expulsions en cas d’occupation illicite de terrain des communes ayant rempli leurs obligations en matière d’infrastructures d’accueil. En effet, les lois Besson de 1990 et 2000 obligent chaque commune de plus de 5 000 habitants à se doter d’un terrain pour les gens du voyage, mais quinze ans plus tard, seules 27 000 aires d’accueil ont été construites alors qu’il devrait en avoir 40 000. Enfin, la loi supprime l’obligation de trois ans de rattachement ininterrompu à la même commune pour avoir le droit de voter, comme c’était le cas jusqu’alors. Ainsi, cette proposition de loi œuvre à faire vivre ensemble des gens différents, dimension essentielle de l’activité politique.
Barbara Romagnan
Chronique publiée dans L’Humanité le 15 juin 2015
Du risque social-écologique
9/06/15
Je viens de lire le livre stimulant d’Éloi Laurent, intitulé le Bel Avenir de l’État providence, dans lequel il montre les bienfaits de l’État providence et bat en brèche tous les poncifs affirmant combien il serait coûteux, entraverait le dynamisme de l’économie et celui des individus. Il appelle donc à sa protection, mais aussi à sa réinvention. Réinvention qui passe notamment par l’intégration de la question environnementale. Autrement dit, si l’État providence oppose un droit à un risque, il faut bien comprendre que la nature du risque a changé depuis l’après-Seconde Guerre mondiale. Au risque social s’est ajouté le risque écologique. Éloi Laurent parle même d’un risque social-écologique pour bien montrer l’imbrication des questions sociales et écologiques.
J’ai trouvé particulièrement convaincante cette partie du livre dans laquelle il explicite ce lien entre la pauvreté et l’exposition aux effets de la dégradation de la planète, lien qui fonctionne dans les deux sens : « Les inégalités sociales nourrissent les crises écologiques ; les crises écologiques grossissent en retour les inégalités sociales. »
Pour lutter contre le réchauffement climatique, il faut donc lutter contre la pauvreté et les écarts de revenus. On pourrait dire que, quand bien même on serait indifférent au sort des plus pauvres, pour sauver la planète sur laquelle on vit et, donc, pour préserver sa propre vie, il est absolument indispensable de s’en soucier. Par exemple, pour limiter la production de gaz à effet de serre, source du réchauffement climatique, il faut isoler les logements des personnes les plus précaires car ce sont elles qui vivent dans des passoires énergétiques et qu’elles ne sont pas en mesure de financer ces rénovations.
De même, pour réduire les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres, il est crucial de prendre en compte l’état de la planète. En effet, les inégalités face aux catastrophes naturelles sont considérables. On sait, par exemple, que l’immense majorité de celles et ceux qui meurent dans les inondations sont les plus pauvres car ce sont leurs habitations qui sont construites en zones inondables. Il y a ainsi des endroits qui ne sont pas faits pour de l’habitat humain.
Ainsi, à gauche, jusqu’à une période récente, soit on considérait que la question de la pauvreté était prioritaire, on avait alors tendance à négliger la question écologique, soit on faisait l’inverse arguant de l’urgence climatique. Les questions écologiques et sociales sont bien à traiter ensemble et à égalité. Cette nécessité est également une opportunité pour la gauche pour l’aider à se renouveler.
Barbara Romagnan
Chronique publiée dans L’Humanité le 8 juin 2015
« Contrôler » les chômeurs ?
5/06/15
La question du contrôle des chômeurs revient régulièrement dans le débat public. S’il s’agit de s’assurer que les indemnités de chômage vont bien aux personnes qui y ont droit et de permettre d’identifier les personnes en perte de confiance en elles, marginalisées, découragées et qui peinent à faire leurs recherches afin qu’elles bénéficient d’un accompagnement renforcé, cela me semble légitime et utile.
De la même façon que je crois qu’il doit y avoir des contreparties aux baisses de cotisations consenties aux entreprises dans le cadre du pacte de responsabilité et que l’effectivité de ces contreparties doit être vérifiée, il me semble que la légitimité des prestations assurantielles suppose qu’elles soient versées aux personnes qui jouent le jeu de la recherche d’emploi. Cette vérification est également une façon de conforter l’acceptation, par les citoyens, du versement des indemnités de chômage. D’ailleurs, le Code du travail le prévoit déjà. Les demandeurs d’emploi sont tenus « d’effectuer des actes positifs et répétés en vue de retrouver un emploi, de créer ou de reprendre une entreprise ».
Pourtant, convenons que, notamment de la bouche du ministre du Travail et de l’Emploi, l’expression peut être blessante pour les millions de personnes, et leurs proches, vivant le fléau du chômage et qui ne demandent qu’à pouvoir travailler et gagner dignement les moyens de leur subsistance. En effet, difficile de ne pas entendre sous cette formulation que, d’une part, si les gens sont au chômage, c’est qu’ils ne cherchent pas suffisamment à travailler ; d’autre part, que, en conséquence, les indemnités qu’ils perçoivent sont indues.
Rappelons d’abord que seul un chômeur sur deux est indemnisé, la moitié d’entre eux ayant épuisé leurs droits. Rappelons ensuite – mais comment l’oublier ? – que le chômage ne recule pas d’un pouce depuis des années et atteint des niveaux record que l’on ne peut pas expliquer par une supposée paresse des personnes privées d’emploi. Chacun peut comprendre également que rechercher un emploi dans une société où le chômage est massif et le travail largement précaire, n’a pas le même sens que dans une société où le chômage diminue. Les personnes sont bien conscientes qu’avec un faible niveau de formation, leurs perspectives d’emploi sont plus faibles.
Quand plus de 5 millions de personnes sont au chômage, toutes catégories confondues, et que le nombre de chômeurs de longue durée poursuit son augmentation, on ne peut l’expliquer par un manque d’entrain supposé des chômeurs. La façon dont notre société est organisée fait que certains ne peuvent plus trouver d’emploi dans des conditions qui leur permettent de vivre et d’en vivre. C’est pourquoi je crois urgent de répartir autrement le travail, comme les richesses de façon plus générale.
Barbara Romagnan
Chronique publiée dans L’Humanité du 1er juin 2015
Un accueil digne est possible
18/05/15
En écoutant à la radio des débats faisant suite au nouveau drame survenu dans la Méditerranée qui a vu mourir des milliers de migrants, j’ai à nouveau entendu cette idée, apparemment pleine de bon sens et
de réalisme, qu’« on ne peut pas accueillir tout le monde ». Je suppose que « tout le monde » signifie surtout les pauvres des pays en guerre en Afrique et dans la péninsule Arabique.
D’abord, « tout le monde » ne cherche pas à se fixer en France, ni même en Europe. L’essentiel des migrations des Africains se font à l’intérieur de l’Afrique, par exemple. Nous ne sommes pas non plus les plus généreux. L’Allemagne accueille plus de 60 000 réfugiés politiques, quant nous n’en accueillons que 15 000. La Suède, pays de 10 millions d’habitants, accueille deux fois plus de réfugiés (31 000) que nous ne le faisons. Enfin, nombre des candidats à la migration rêvent davantage d’obtenir un passeport qu’une carte d’identité, ils veulent pouvoir se déplacer et non se fixer dans un pays. Ceux qui quittent leur pays d’origine le font en raison des difficultés qu’ils peuvent rencontrer dans leur pays d’origine et également mus par la volonté d’être maîtres de leur vie, de se construire.
Quant à ceux qui viennent ou cherchent à venir en Europe parce qu’ils fuient la guerre, les violences, la misère, nous avons évidemment le devoir et les moyens de les accueillir. Je ne dis pas que c’est simple. Mais comment croire et justifier que 507 millions d’Européens ne peuvent pas accueillir 200 000 migrants ? Cela signifie 1 personne par commune de 2 500 habitants. Aujourd’hui, la Suède accueille l’équivalent de 3 réfugiés pour 1 000 habitants. Évidemment, on ne peut faire la répartition de façon aussi simpliste que le calcul que je fais, il y a des familles à préserver, des lieux dans lesquels l’accueil peut se faire dans de plus ou moins bonnes conditions, mais l’accueil est possible.
Si nous vivions en Libye, en Syrie, en Érythrée, en Afghanistan, au Mali, d’où viennent la majorité de ceux qui arrivent par la Méditerranée – ou, malheureusement, n’arrivent pas parce qu’ils sont morts avant –, ne chercherions-nous pas à faire de même pour nos enfants, si ce n’est pour nous ? Si nous vivions dans un pays en proie à la guerre, aux violences, à la torture, où l’État serait en faillite, ne serait-on pas heureux que nos enfants partent construire leur vie ailleurs et qu’ils soient dignement accueillis ? De toute façon, nous ne pourrons pas empêcher ceux qui fuient ces violences, la famine, de tenter la traversée, même s’ils savent qu’elle peut leur coûter la vie, parce que s’ils restent là où ils sont, ils y perdront la vie. Accueillons-les correctement. Ces jeunes gens, qui ont traversé des épreuves terribles, aspirent à travailler et à vivre en paix, ils sont pleins d’un courage et d’une énergie hors du commun qui nous feraient sûrement du bien.
Barbara Romagnan
Chronique publiée dans L’Humanité le 18 mai 2015
Une sanction presque vidée de son sens
4/05/15
La loi sur l’égalité réelle adoptée le 4 août 2014 comportait des avancées notables pour les femmes, mais était, me semble-t-il, très timide sur le plan de l’égalité professionnelle. En effet, alors que le temps partiel – féminin à 82 % – est l’un des nœuds de cette inégalité, aucune des propositions visant à en diminuer l’usage ou à le rendre moins pénalisant pour les femmes (en termes de salaire et de retraite notamment) n’avait été acceptée. Néanmoins, un article prometteur prévoyait l’interdiction d’obtenir des marchés publics pour les entreprises ne respectant pas leurs obligations en matière d’égalité professionnelle.
Avant la loi de 2014, des dispositions allant dans ce sens existaient déjà. Depuis 2006, les entreprises ont l’obligation de négocier des mesures de suppression d’écart de salaire entre les hommes et les femmes dans les entreprises de plus de 50 salariés. En 2010, la loi a prévu des pénalités financières pouvant aller jusqu’à 1 % de la masse salariale, pour les entreprises ne se conformant pas à la loi. Enfin, en 2012, un décret a renforcé les contrôles.
L’obligation faite aux entreprises consiste dans l’élaboration d’un diagnostic sur les écarts en termes de salaire, de santé au travail, de formation, de possibilité d’articuler la vie privée et l’activité professionnelle. Ce diagnostic doit servir de base à un plan d’action visant la réduction de ces écarts. C’est cela qui est attendu des entreprises. Il ne s’agit pas d’une obligation d’égalité entre les femmes et les hommes, seulement de faire l’état des lieux et de dire les moyens que l’on se donne pour améliorer la situation. Rien d’excessif dans tout cela me semble-t-il.
Si ces obligations ne sont pas respectées, les entreprises ont six mois pour régulariser leur situation sous peine d’une amende – et d’interdiction de soumissionner aux marchés publics, donc. Le problème est que cette obligation est largement ineffective puisque les élus chargés de sélectionner les entreprises lors d’un appel d’offres ne peuvent avoir accès à ces informations, comme l’a expérimenté Julien Bayou, élu EELV d’Île-de-France, qui a interrogé le secrétariat d’État aux Droits des femmes à ce sujet, sans succès. Cette sanction est donc presque totalement vidée de son sens. Au-delà des élus en charge des marchés publics, il ne me paraît pas inadmissible que les citoyens soient informés des pratiques des entreprises et que ceux et celles qui investissent puissent faire leurs choix en connaissance de cause.
Barbara Romagnan
Chronique publiée dans L’Humanité le 4 mai 2015
Libertés et sûreté dans un monde dangereux
27/04/15
Pour ceux qui n’auraient pas encore eu l’opportunité de le faire, je suggère la lecture de l’ouvrage de Mireille Delmas-Marty, Libertés et sûreté dans un monde dangereux. Cet ouvrage est paru en 2010. Bien qu’antérieur de cinq ans à la loi sur le renseignement actuellement en débat, il peut participer à nous éclairer sur ce sujet. L’auteure part du 18 septembre 2001, quand le Congrès américain proclame l’état de guerre contre le terrorisme, et adopte un droit pénal d’exception appelé le Patriot Act le 25 octobre 2001. Elle constate que la plupart des dispositions qu’il contenait ont été pérennisées ou prorogées.
Elle nous rappelle que cette idée de suspension de l’ordre juridique en cas de danger réapparaît régulièrement et que sans protection des droits fondamentaux, il existe un risque pour que cet état d’exception devienne le fonctionnement régulier des institutions. Elle observe, en effet, que les États peinent à revenir à l’état juridique, qui précède la mise en place de pratiques d’exception.
Citant Michel Troper (« L’état d’exception n’a rien d’exceptionnel »), elle nous dit qu’on peut considérer l’état d’exception comme « une situation dans laquelle, en invoquant l’existence de circonstances exceptionnelles particulièrement dramatiques et la nécessité d’y faire face (…) on suspend provisoirement l’application des règles (…) et l’on en applique d’autres, évidemment moins libérales, qui conduisent à une plus grande concentration des pouvoirs ». Évidemment, dans le cas du terrorisme, il est délicat d’établir le moment où le risque diminue et les élus hésitent à assumer la sortie de l’exception. En conséquence, elle constate une inclination à conserver les mesures exceptionnelles. Elle relève d’ailleurs que les avis rendus par le Conseil constitutionnel français depuis le 11 septembre 2001 illustrent sinon une tolérance à l’égard du tout-sécuritaire, du moins un glissement vers une conception plus répressive des moyens de l’État. Ainsi, entre 2002 et 2009, les 9 lois pénales soumises au Conseil constitutionnel ont été validées alors même qu’elles comportaient des mesures inédites concernant les mineurs. Le CC en effet a motivé son avis favorable par « la nécessité de rechercher les auteurs d’infractions et de prévenir les atteintes à l’ordre public, et notamment à la sécurité des personnes et des biens », revenant ainsi sur la spécificité de la justice des mineurs.
Barbara Romagnan
Chronique publiée dans L’Humanité le 27 avril 2015
La curatelle ne doit pas stigmatiser
22/04/15
Aujourd’hui, j’ai rencontré un père qui exerce la curatelle de son fils, majeur. La curatelle, comme la tutelle, constituent une protection juridique. Sa finalité est l’intérêt de la personne vulnérable, en favorisant, dans la mesure du possible, son autonomie. La différence entre ces deux formes de protection réside dans le degré de contrainte qui s’applique aux actions de la personne majeur qui en fait l’objet.
Ce père m’explique ainsi que son fils a le droit de voter, peut se marier – avec l’autorisation de son curateur – et gérer et administrer ses biens, son argent, librement. Alors que les personnes sous tutelle n’ont pas toujours le droit de voter, ont besoin de l’autorisation du juge pour se marier et que leurs biens sont administrés par leur tuteur, ainsi elles ne sont pas autorisées à signer des chèques.
Son fils peut donc signer ses propres chèques, mais récemment, le juge des tutelles lui a demandé de préciser dans l’intitulé de ses comptes, que son fils est sous curatelle. Autrement dit, sur son carnet de chèques, ne sont pas seulement inscrits ses nom, prénom, adresse, mais également la mesure de curatelle. La juge n’y est pour rien, c’est en effet la loi qui l’exige. Cela l’a évidemment beaucoup touché et je dois dire que je trouve ça très choquant.
Il me semble que c’est en totale contradiction avec la volonté affichée de promotion de l’autonomie et de l’intégration des personnes en situation de handicap. Cette disposition est stigmatisante, irrespectueuse de la personne et de sa vie privée. Ainsi, quand il ira faire ses courses avec un carnet de chèques, les commerçants seront tous au courant de quelque chose qui ne les regarde en rien.
Alors que la loi santé qui vient d’être adoptée a instauré un droit à l’oubli qui permet aux anciens malades du cancer souhaitant obtenir un prêt bancaire de ne pas en faire mention si ce cancer est survenu avant l’âge de quinze ans ou si leur cancer est survenu il y a plus de quinze ans, il serait légitime et logique que cette disposition du Code civil soit revue. Au-delà de son caractère stigmatisant, l’obligation d’inscrire la curatelle dans l’intitulé des chèques est une façon de rappeler à la personne en curatelle cette situation par le regard des autres.
Barbara Romagnan
Chronique publiée dans L’Humanité le 20 avril 2015
IVG : suppression du délai de « réflexion »
13/04/15
Après un premier assouplissement l’année dernière, avec la suppression de la notion de détresse, la procédure de l’IVG a, à nouveau, été simplifiée, allégée, grâce à la suppression du délai de réflexion de sept jours, entre les deux consultations médicales obligatoires, imposé aux femmes choisissant de faire une IVG.
Cette question très intime suscite forcément des débats, fondés sur la réflexion de chacun-e et sur des expériences de vie différentes : homme ou femme, avoir déjà vécu une IVG, avoir des enfants ou pas. Pourquoi supprimer ce délai ? Parce que, je crois, dans l’immense majorité des cas, il est inutile voire culpabilisant et infantilisant. Inutile parce que les délais sont suffisamment longs entre la découverte d’une grossesse non désirée et une IVG pour permettre de réfléchir. Parce que les nausées, le doute sur ce qu’il faut faire, les changements hormonaux, la fatigue obligent à la réflexion.
Ces sept jours peuvent même poser problème pour celles qui se trouvent à la limite du délai légal parce que le temps d’attente peut être long avant une intervention, également parce qu’elles ont pu passer du temps à réfléchir, à hésiter, parce que c’est une décision souvent difficile. Ces sept jours supplémentaires obligatoires peuvent légitimement être mal vécus. La femme qui vient demander une IVG n’aurait-elle pas bien pris la mesure de ce qu’elle va faire, ne serait-elle pas en mesure de penser par elle-même ? Faut-il se faire rappeler comment mettre un préservatif, qu’il ne faut pas oublier de prendre sa pilule, que pratiquer une IVG est un acte grave ? Il ne s’agit pas de dire que la réflexion ne soit pas nécessaire, ni même qu’on ne puisse s’y faire accompagner, au contraire. Mais quel besoin y a-t-il que ce délai soit obligatoire ? De plus, il me semble que la situation a changé depuis quarante ans où l’information sur la contraception était moins accessible. Parler de sexualité, d’amour, de grossesse, d’IVG était autrement plus délicat, même si cela ne va pas de soi partout et pour toutes et tous, ce qui pouvait éventuellement justifier ce délai.
Je crois que supprimer l’obligation n’empêche pas de réfléchir. D’ailleurs, on pourrait à l’inverse dire que sept jours sont insuffisants. Des mois ou des années après une IVG, combien parmi les femmes ayant « profité » de ce délai desept jours ont-elles regretté de ne pas avoir gardé ce fœtus ? Ce délai ne peut rien changer à cela, parce que souvent on n’a pas de réponse absolue et atemporelle, parce que ce qui nous paraît souhaitable, possible à un moment ne l’est pas à un autre. Je crois qu’il est bien de simplifier l’accès à l’IVG justement parce que c’est déjà suffisamment lourd et compliqué d’y recourir sans qu’il soit besoin d’en rajouter.
Barbara Romagnan
Chronique publiée dans L’Humanité le 13 avril 2015
Notre division participe du désarroi
31/03/15
Le résultat du scrutin de mars 2015 montre que les citoyens ne voient pas dans la gauche un espoir de changement, pas plus dans la gauche de gouvernement que dans celle qui la critique. Dit autrement, la volonté de sanctionner le gouvernement ne profite pas aux partis de gauche qui le contestent. C’est une question très sérieuse qui se pose à nous, la gauche, collectivement. Séparés, nous perdons, alors qu’unis nous pouvons l’emporter. Notre union est nécessaire pour une raison numérique. Quand il faut un pourcentage minimal des inscrits pour pouvoir se maintenir au second tour, toute division des voix au premier tour fait prendre le risque de l’élimination de tous, singulièrement dans des scrutins où le taux d’abstention est élevé. L’union est également nécessaire parce que notre division participe du désarroi de nos concitoyens en cette période si difficile. Je crois que beaucoup ne comprennent pas que les gauches ne soient pas unies dans l’adversité. D’autant plus dans les élections départementales qui viennent de passer, car les différentes formations de gauche ont gouverné ensemble dans les départements, comme c’était le cas dans nombre de municipalités.
Surtout, je crois profondément que de l’union des forces de gauche – politiques, associatives, syndicales – naissent des fonctionnements plus démocratiques et des politiques plus créatives, intelligentes et efficaces dans la résolution des problèmes et des défis auxquels nous sommes confrontés.
Le fait d’être divers nous oblige à écouter les différents partenaires. Cela nous aide à nous préserver du sectarisme des uns et de la volonté hégémonique des autres. C’est en soi important, car je crois que cela nous permet également d’être plus attentifs aux citoyens, à leurs attentes et à leurs expertises et propositions. Dans notre monde en mutation, beaucoup réfléchissent et mettent en œuvre des nouvelles façons de faire, inventent des solidarités concrètes qui facilitent et améliorent la vie. Tous ensemble, il nous faut d’urgence réduire les inégalités au nom de la justice et aussi parce que c’est une condition de notre vie commune. Tout aussi urgente est notre mobilisation pour la survie de la planète et de ceux qui l’habitent. Enfin, ne négligeons pas l’aspiration de chacun d’entre nous à participer à faire advenir un monde meilleur pour soi, ses proches, mais aussi ceux et celles que nous ne connaissons pas, mais qui sont tout aussi humains que nous.
Barbara Romagnan
Chronique publiée dans L’Humanité le 30 mars 2015