En soutien à Nicole Briend
Je me suis rendue ce 6 février 2018, au nom de Generation.s, au rassemblement en soutien à une militante d’Attac, Nicole Briend, qui doit faire face à un procès pour pour « vol en réunion » (et refus de donner son ADN) suite à une action de réquisition de chaises en mars 2016 dans l’agence BNP Paribas de Carpentras. Ce « fauchage de chaises » est une action citoyenne et symbolique mise en place par Attac pour dénoncer l’évasion fiscale. Cette action s’inscrit dans un contexte où la plupart des techniques d’optimisation fiscale sont légales, ce qui témoigne donc d’une passivité des gouvernements et autorités judiciaires, notamment face aux grandes entreprises. Attac entend ainsi interpeller ces gouvernements, mais aussi alerter les citoyennes et citoyens de notre pays, pas toujours au fait de ces situations. Dans le cadre de ce procès, et de ceux qui lui ont précédé, je fais miens le slogan d’Attac : « qui vole qui ? » . Autrement dit : que représentent quelques chaises face aux milliards d’euros de déficit provoqués par l’évasion fiscale pratiquée en premier lieu par les grandes entreprises françaises ?
Ces questions en appellent d’autres. Il me semble qu’à travers une telle situation — où une militante pacifiste se trouve mise en cause si promptement — il nous faut porter l’attention sur la criminalisation de l’ensemble des lanceurs et lanceuses d’alerte et des militant.e.s prônant la désobéissance civile aujourd’hui.
Je suis scandalisée par l’évasion fiscale. Je le suis aussi des attaques qui sont faites aux militant.e.s de ce pays. Depuis plusieurs années maintenant, le tournant néo-libéral, sur le plan économique, s’accompagne d’un tournant répressif et autoritaire. On aurait pu s’attendre, sans doute naïvement, à ce que le libéralisme d’Emmanuel Macron s’affirme sur le plan des libertés et des droits, comme sur les choix économiques. C’est d’ailleurs ce qu’il laissait entendre pendant sa campagne électorale. C’est également ce qu’il prétend dans ses discours, surtout hors de France. En réalité, ces deux volets — neo-libéral et répressif — sont intimement liés, comme l’a démontré Loic Wacquant il y a déjà 20 ans. Plus l’État social s’affaiblit, plus l’État répressif se développe. Aujourd’hui, on criminalise des personnes dont le seul tort est d’alerter et de chercher à pallier les déficiences de l’Etat. Quand les défaillances sont mises à jour, les efforts ne se dirigent pas vers la correction des manquements mais vers la criminalisation des personnes qui osent lui rappeler ces devoirs, parfois les plus élémentaires. Les cas des lanceurs d’alerte, comme Antoine Deltour et Raphaël Halet (affaire Luxleaks), sont emblématiques. Il en existe bien d’autres. Cédric Herrou présent ici, tout comme Martine Landry, ne savent que trop bien ce qu’est le « délit de solidarité ». Un « délit » qui dit non seulement qu’il est grave de venir en aide aux personnes migrantes, mais que cela est plus grave que de les emprisonner, les maltraiter, les torturer ou les laisser aller vers une mort certaine. Les militant.e.s du mouvement Boycott Désinvestissement Sanction, qui vise à lutter contre la colonisation et l’apartheid israélien, ont également fait face à une criminalisation croissante. Les exemples sont malheureusement nombreux.
Cela n’est pas nouveau, mais si nous sommes tous et toutes réunies aujourd’hui c’est parce qu’il existe un illégalisme guère coûteux pour les classes dominantes : l’illégalisme fiscal. Et que dans un contexte où l’Etat social se fragilise fortement, les personnes plus fragiles se fragilisent encore davantage. Les personnes pauvres et racisées font ainsi la double expérience de la précarité et de la criminalisation. Une criminalisation qui va finalement jusqu’à toucher les militant.e.s qui refusent de rester indifférent.e.s face à ces situations.
Les combats sur les questions de justice sociale sont liés les uns aux autres et doivent nous inciter à créer des solidarités entre les militant.e.s. Aujourd’hui, savoir faire acte de désobéissance civile, comme Nicole Briend, c’est refuser ensemble de fermer les yeux sur les injustices et les discriminations à une époque où le code du travail se fragilise, où l’état d’urgence devient le droit commun, où les victimes des guerres, de régimes tortionnaires, de la misère et du réchauffement climatiques sont rejetées, violentées, criminalisées. Loin d’être une posture facile, cette désobéissance est un acte d’exigence éthique, pour que la liberté, l’égalité et la solidarité ne soient pas que des mots vides de sens mais se traduisent dans la réalité.
Barbara Romagnan