Immunité présidentielle
La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris s’est opposée, lundi, à la poursuite de l’instruction dans l’affaire des sondages de l’Elysée. Cet arrêt du 7 novembre interrompt ainsi la procédure initiée par une plainte pour « délit de favoritisme » de l’association Anticor, après un rapport de la Cour des comptes pointant les dépenses excessives d’une convention de sondages d’opinion passée sans mise en concurrence entre l’Elysée et la société Publifact.
Les magistrats ont jugé en effet que l’instruction « conduirait à exercer une action ou à réaliser des actes d’information pouvant mettre en cause la responsabilité du chef de l’Etat ». Citant l’article 67 de la Constitution sur l’immunité présidentielle, elle souligne que le président ne pourrait pas « mener sa mission avec la sérénité nécessaire (…) si ses collaborateurs proches pouvaient être l’objet d’investigations sur des actes liés directement à (ses) actions ».
L’immunité pénale accordée au Président de la République est dès lors étendue à ses collaborateurs, qui étaient en l’espèce les signataires du marché en litige.
Cette décision, passée presque inaperçue, puisque il semble que seul Rue 89 ait relayé l’information dans la presse écrite, n’est pourtant pas anodine. On peut s’inquiéter en effet tout à la fois pour l’égalité devant la loi, pour les garanties de l’état de droit comme pour l’indépendance de la justice vis-à-vis de l’exécutif.
Il est tout d’abord important de ne pas oublier que l’immunité pénale du Président de la République est une atteinte portée à l’égalité des citoyens devant la loi. Certes, il s’agit d’une exception admise à ce principe afin de préserver le Président de la République du risque de harcèlement judiciaire. Néanmoins comme toute exception, l’immunité pénale doit être interprétée de manière restrictive. Cette exception est liée à la personne même du Président. Il est en effet primordial que l’égalité devant la loi soit protégée des atteintes qui pourraient lui être apportées par l’effet d’une interprétation audacieuse.
Pourtant, la cour d’appel de Paris en a décidé autrement. Par une « interprétation extensive de l’immunité du président de la République » (pour reprendre la formule employée par l’avocat Anticor), la cour a considéré concrètement qu’aucune plainte de quelque nature que ce soit ne peut être déposée contre toute personne des services de l’Elysée. En quelques sortes, les conseillers de l’Elysée bénéficient d’une immunité par ricochet qu’on ne peut s’empêcher de considère comme une forme de « privilège de l’exécutif » en contrariété flagrante avec l’égalité républicaine.
Il est au-delà inquiétant de voir intégrer les actes pris par les services de la présidence dans le champ des actes couverts par l’irresponsabilité pénale. D’autant que l’hyper présidence sarkozyste a entraîné une majoration du rôle des proches conseillers du Président, que certains ont comparé à une sorte de vice-premier ministre. Il est en effet parfaitement contraire à la logique du constitutionnalisme de les rendre irresponsable pénalement de leurs actes.
Le droit constitutionnel a pour fondement même la volonté de limiter le libre arbitre et le bon plaisir des gouvernants. C’est pourquoi, dans une démocratie constitutionnelle, l’exercice du pouvoir a pour contrepartie légitime la responsabilité.
Le gouvernement actuel semble ignorer pleinement ces données de base, « voire les fouler aux pieds » (pour reprendre l’expression d’Olivier Beaud dans un article publié dans le monde en novembre 2010). L’état de droit s’en trouve nécessairement menacé.
On peut enfin s’interroger comme nous y invite Roseline Letteron sur le lien entre cette décision et le principe d’indépendance de la justice. Une telle décision est en effet pour le moins surprenante l’autorité judiciaire se privant elle-même de son propre pouvoir d’investigation…
Pour aller plus loin : Sondages de l’Elysée : le « Privilège de l’Exécutif » à la française http://libertescheries.blogspot.com/