Je vous recommande vivement la lecture de cet éditorial de Caroline Fourest, paru dans le journal Le Monde.

Si elle se confirme, la perte du triple A incitera peut-être à une sorte d’union nationale. Au moins temporairement. Le gouvernement en jouera pour éviter l’autocritique et se poser en recours. La tentation sera également grande de chercher des boucs émissaires extérieurs. Les agences de notation, les banques, les marchés.
Ils ont leur part de responsabilité. Il y a de quoi tousser en voyant notre économie dépendre d’agences de notation aussi peu fiables. Celles qui ont couvert les comptes truqués de la Grèce, par une note positive, n’ont pas été sanctionnées. Mais jouent les redresseurs de « A » vis-à-vis d’Etats qui doivent maintenant se porter au secours de la zone euro. Leur note fait penser à celle d’un jury de patins à glace. Partielle et gonflée. Pourtant, ce n’est pas le problème. Si injuste soit-elle, une note n’est qu’un reflet. Il doit nous permettre de regarder une certaine réalité en face. A savoir que sans dette, cette note n’aurait aucune valeur ni aucun impact.

« La faute aux marchés » est également un refrain tentant. N’est-ce pas cette économie devenue folle, où le capital a mangé le travail, où les algorithmes favorisent la spéculation sur la dette, sur nos vies, qui est au coeur du problème ? Si, bien sûr. Il faut ralentir cette machine infernale. Imaginer des coupe-feu, des boutons, et taxer ces transactions pour redonner des marges de manoeuvre aux Etats. Encore faut-il pour cela que ces derniers ne gaspillent pas leurs leviers nationaux et leurs dernières marges de manoeuvre. En creusant les déficits et en se mettant à la merci des marchés et des banques. Mais voilà qui nous amène, inévitablement, à la triple faute - politique - de ce gouvernement.
La première faute est morale : avoir creusé les déficits publics, tout en creusant les inégalités. Par des cadeaux fiscaux aux plus riches et même en allant jusqu’à supprimer une tranche de l’impôt sur le revenu. Cette forme d’ »évasion » fiscale organisée, antisociale, était déjà douteuse avant la crise. Elle est inqualifiable avec le recul.
La deuxième faute est idéologique : ne pas avoir profité du renflouement des banques en 2008 pour renforcer l’emprise de l’Etat sur le secteur financier et bancaire. Au lieu de prêter sans contrepartie, le gouvernement français aurait pu exiger des droits de veto ou prendre des participations qui auraient augmenté sa marge de manoeuvre vis-à-vis de ses créanciers. Aujourd’hui renflouées grâce aux mesures prises par l’Etat, celles-ci sont plus que jamais en position de force pour lui dicter ses conditions.
Mais la troisième faute est récente. De sommet en sommet européen, alors que l’Allemagne n’a cessé de souhaiter mettre les banques à contribution, le gouvernement français a freiné. Il en ressort un compromis bancal : l’austérité, mais sans taxe sur les dividendes bancaires permettant de renflouer les caisses des Etats européens. Du coup, où puiser ? Sur le dos des citoyens et des services publics.
Personne ne dit que l’effort ne doit pas aussi venir de là. Mais cet effort doit être mieux partagé, ou il sera injuste et révoltant. En plus d’être inefficace et mortifère pour le pouvoir d’achat et la relance.

Essayiste et journaliste, rédactrice en chef de la revue « ProChoix », Caroline Fourest est l’auteure notamment de La Dernière Utopie ( Grasset, 2009) et de Libres de le dire, avec Taslima Nasreen (Flammarion, 2010).