"Pour une révolution fiscale", éd. Le Seuil/République des idées

"Pour une révolution fiscale", éd. Le Seuil/République des idées

Depuis quelques semaines, l’UMP réfléchit à la réforme fiscale annoncée pour juin par le chef de l’Etat. Il s’agit d’un véritable casse-tête pour la majorité qui doit supprimer son injuste bouclier fiscal sans renier ses engagements de 2007, mettre de côté l’ISF, le tout en ménageant l’opinion et en garantissant des recettes fiscales constantes… Autant dire que l’architecture du projet n’a pas encore vu le jour !

Dans le même temps, trois économistes français (Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez) nous proposent une véritable « révolution fiscale ». Sous la forme d’un livre et d’un site internet totalement inédit, ils résument plus de dix ans de leur travail en matière de fiscalité et de répartition des revenus.

L’injustice fiscale

Leur analyse part d’un constat : plus les Français sont riches, moins ils payent d’impôts. C’est cette injustice fiscale que les auteurs dénoncent en premier lieu. En effet, si les plus modestes ont un taux d’imposition de l’ordre de 45 %, les 1 % les plus riches sont taxés à moins de 35 %. L’injustice est due à un impôt sur le revenu devenu une passoire et des riches qui le contournent de façon de plus en plus systématique grâce aux niches et divers systèmes fiscaux. L’étude prouve que les bas salaires sont des contribuables lourdement taxés et qu’à l’opposé, les patrimoines ne se sont jamais si bien portés depuis un siècle. De plus, quand 50 % des français possèdent peu ou rien, 10 % des plus riches détiennent 62 % des richesses. Enfin, on peut noter que le « système fiscal français n’a jamais été juste, [mais] la majorité élue en 2007 l’a aggravé en rajoutant des couches de privilèges pour les plus riches », selon Thomas Piketty.

Autre constat : nous avons affaire à un système fiscal opaque, illisible et complexe. Thomas Piketty évoque même la possibilité de « révoltes fiscales » tellement la défiance des Français envers ce système est grande. Il ne permettrait pas au citoyen de s’y retrouver et de connaître son pouvoir d’achat annuel au regard des divers impôts dont il doit s’acquitter ou non tout au long de l’année.

La révolution fiscale

Déclaration d'impôtsFace à ce constat accablant, les auteurs nous proposent une révolution fiscale. Pour eux, devant une telle accumulation de complexités et d’exonérations, le système actuel n’est plus réformable à la marge ! Selon Thomas Piketty, même si le législateur voulait augmenter les taux supérieurs actuels avec le barème actuel, cela ne servirait à rien, les contribuables les plus fortunés continuant à contourner légalement les nouveaux taux d’imposition.

Le produit de l’impôt a été divisé par deux en vingt ans en proportion de l’évolution de la richesse nationale. Cependant, le niveau moyen d’impôt en France (49 % du revenu national) est trop élevé pour envisager une hausse générale. A recette constante, on pourrait donc envisager de faire baisser les impôts de 97 % des Français en augmentant ceux des 3 % les plus riches.

Ils souhaitent toutefois éviter le piège du procès en démagogie fiscale où les plus riches seraient, avec un tel système, matraqués fiscalement et tentés par l’évasion fiscale. D’abord, il s’agirait de fusionner l’impôt sur le revenu avec la CSG pour ainsi ne plus taxer uniquement le travail mais aussi une partie des revenus du capital. Ensuite, ils affirment que notre pays affiche effectivement un taux d’imposition souvent élevé mais que l’accumulation des niches fiscales rendrait les taux effectifs relativement faibles. Notre pays serait même, selon le Crédit Suisse, le leader européen en nombre de résidents millionnaires ! Pas de quoi craindre l’évasion fiscale, surtout avec un système simple et transparent que préfèreraient les contribuables aisés, selon Thomas Piketty.

Autre élément central de cette « révolution », le prélèvement à la source. Il s’agit là de simplifier la vie des contribuables. Cette solution permettrait stabilité, discipline et transparence. Elle pourrait même modérer les tentations de prolifération de niches et réductions fiscales de diverses sortes pour imposer un principe simple : « à revenu égal, impôt égal ». En effet, les niches fiscales sont si nombreuses que le contribuable ne s’y retrouve plus et « chacun suspecte son voisin de mieux utiliser les niches fiscales que lui », donc de rendre le système encore plus injuste. La proposition est donc de supprimer tous les dispositifs qui ont entraîné cette multiplication des niches fiscales. Enfin, la question de l’individualisation est tranchée par les auteurs. Alors qu’actuellement, l’impôt sur le revenu est calculé sur la base du couple et la CSG sur celle de l’individu, ils proposent que la CSG absorbe l’impôt sur le revenu et que l’ensemble devienne donc individuel.

Simulation de réformes fiscales

SimulateurEn complément de leur ouvrage, les trois économistes ont mis au point un site internet qui est en réalité un véritable simulateur fiscal. Basé sur un fichier de 800 000 individus, il permet de simuler en temps réel les effets sur les finances de la France et le degré d’inégalité sociale de la moindre variation du barème de l’impôt.

Cet outil, d’une très haute précision, permet de faire vivre le débat mais aussi et surtout de permettre aux parlementaires d’avoir accès à des données qu’ils n’avaient pas jusqu’à présent afin d’expertiser certains de leurs dispositifs fiscaux.

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Des limites

Les critiques existent. Il y a d’abord celles des auteurs (de sensibilité de gauche) qui, dans leurs différentes interventions écrites ou orales, égratignent le PS et l’UMP. Pour le premier, ils lui reprochent de ne pas avoir de véritable programme fiscal. Il ne resterait qu’au stade des généralités avec son « grand impôt progressif » et ne trancherait pas des questions essentielles comme celle de l’individualisation. Pour le second, les critiques sont plus fondamentales, lui reprochant ses réformes et mesures injustes, sa connivence avec les plus puissants.

Les trois économistes ne s’en cachent pas : leurs travaux se placent dans la perspective de 2012. C’est donc tout naturellement que des personnalités politiques s’en sont saisi. François Hollande (PS) partage les constats des auteurs et paraît globalement satisfait des propositions avancées. Cependant, il juge l’analyse un peu trop simpliste, pensant notamment que l’effort fiscal ne pourra pas peser seulement sur 2 ou 3 % des plus riches mais plutôt sur 10 à 15% d’entre eux. De plus, selon lui, la suppression totale des niches fiscales aura « des effets sur la progressivité de l’impôt et ne pourra pas se faire d’un coup ». Philippe Marini (UMP) est favorable à l’impôt proposé, qui fusionne impôt sur le revenu et CSG, ainsi qu’à la suppression de toutes les niches fiscales. Cependant il ne soutient pas l’individualisation de l’impôt avec la suppression du quotient familial et la taxation jusqu’à 60 % sur la totalité du revenu pour tous les contribuables au-delà de 100 000 euros mensuels. « Leur analyse est trop franco-française » et mériterait d’être comparée à la situation de nos partenaires, conclut-il.

Malgré ces remarques, cette étude mérite de poser le débat de la fiscalité qui promet d’être une thématique majeure de la campagne de 2012. En proposant une réforme où seulement 3 % des contribuables les plus aisés (ceux qui gagnent plus de 8 000 euros par mois) paient davantage d’impôts (les 97 % restant voyant leur imposition diminuer), en proposant un système plus clair, plus transparent, plus simple et véritablement progressif, ils nous prouvent qu’un système fiscal plus juste est possible. Tout n’est peut-être pas parfait dans leur analyse mais la gauche doit s’en inspirer pour proposer un projet juste et efficace à la France et aux Français, projet qui aura pu être construit en partie à l’aide de l’étonnant simulateur www.revolution-fiscale.fr !

Sources / A lire

Dossier de Libération - 21 janvier 2011

- Le livre qui dynamite le système fiscal, par Grégoire Biseau
- « Les classes modestes et moyennes paient trop », interview de Thomas Piketty
- « Ce travail prouve qu’il est possible de faire bouger les choses », interview de François Hollande
- « D’accord pour supprimer les niches », interview de Philippe Marini
- Un débat imposé à droite, par Nicolas Cori
- Pour la « révolution fiscale », cliquez ici
- Repères : fiscalité
- Du neuf, par Vincent Giret