Qui est coupable ?
A propos de l’affaire de « Laëtitia », le 3 février 2011, Nicolas Sarkozy déclare. : « Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés, c’est la règle ».
Les propos sont clairs : le Président de la République déclare coupable les magistrats. Cette accusation est très grave !
Une accusation très grave tout d’abord, quant à la responsabilité que le Président entend faire porter aux magistrats. Si cette affaire démontre de toute évidence une défaillance dans notre système judiciaire, il est absolument scandaleux de vouloir faire porter la faute sur les professionnels de la justice. Luigi Pirandello écrivait à juste titre : « Nous avons toujours besoin de rendre quelqu’un responsable de nos ennuis et de nos malheurs ». C’est un drame innommable qui est arrivé à la jeune Laëtitia, mais je ne crois pas qu’il faille trouver d’autres coupables que celui qui en est l’auteur principal et qui sera jugé pour ses actes.
La culpabilisation des magistrats est parfaitement intolérable et la volonté incessante de sanction,de ce gouvernement devient insupportable. La recherche permanente de la répression n’est en aucun cas la voie à privilégier pour éviter que de telles tragédies se reproduisent.
Il est aujourd’hui plus que temps de donner le droit à la justice de fonctionner normalement. Les magistrats ont envoyé des alertes dans les rapports qu’ils ont rendus ; notamment à Nantes où plusieurs échanges ont été produits témoignant des difficultés rencontrées par les professionnels de justice.
Les moyens accordés à la justice sont beaucoup trop faibles et la réforme générale des politiques publiques n’a fait qu’aggraver les choses ; la France est à la 37ème place (sur 43) des pays européens pour le budget alloué à la justice. Un bouleversement majeur du fonctionnement de la justice doit avoir lieu, de façon, imminente afin de permettre aux personnels de la justice d’effectuer leur travail dans un environnement adéquat.
Des propos très grave ensuite, quant à l’atteinte portée à la présomption d’innocence. Ce dernier principe est pourtant protégé par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyens de 1789 : « tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable… ». La présomption d’innocence implique à la fois une instruction (donc l’examen des faits à charge et à décharge) et un procès équitable devant une juridiction compétente et impartiale.
Au-delà, ce principe correspond à une certaine conception de l’Homme et du pouvoir. En parlant de « présumé coupable », c’est toute une doctrine que Nicolas Sarkozy remet en cause. La présomption de culpabilité renvoie en effet aux temps anciens qui se fondaient sur la disposition suivante : l’accusé était présumé coupable jusqu’à ce qu’il ait fait la preuve de son innocence. On fondait cette théorie sur le fait que la puissance accusatoire procédait de l’autorité et que celle-ci par essence détenait la vérité (cela se constatait tout particulièrement dans les régimes de droit divin).
L’utilisation de cette notion de « présumé coupable » est donc particulièrement choquante et reflète une conception dangereuse de l’autorité.
Un discours très grave, enfin, quant à l’atteinte portée à l’indépendance de la justice. La fameuse théorie de la séparation des pouvoirs portée par Montesquieu est ici mise à mal. Le Président de la République qui se doit d’assurer, au titre de ses devoirs, l’indépendance de l’autorité judiciaire (cf : article 64 ) la remet en cause en s’immisçant dans le travail des magistrats. Le Président de la République n’a en aucun cas à prendre position sur les décisions de justice.
C’est une violation grave qui est commise à l’encontre de la Constitution ; d’autant que la séparation des pouvoirs est au cœur de toute société démocratique puisqu’elle permet selon la célèbre formule une limitation du pouvoir par le pouvoir ainsi qu’une garantie face à l’arbitraire d’un seul.
Monsieur le Président est coupable mais il n’y a, pour lui, aucun risque ; il est protégé par la Constitution ! (l’article 67 de la Constitution indique en effet que « le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68. » )
Aujourd’hui, je suis donc réellement inquiète quant à l’avenir de la justice en France. C’est pourquoi, j’affirme ma solidarité au mouvement de protestation menée par le personnel judiciaire et à la manifestation nationale de jeudi.
Imprimer l'article | Cette entrée a été postée par Barbara Romagnan le 8 février 2011 à 7 h 48, et placée dans Non classé. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via RSS 2.0 Les commentaires et les pings sont fermés pour l'instant |
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