L’Assemblée nationale a examiné en procédure accélérée, et adopté, en séance le 23 juin, le protocole additionnel à la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Maroc. Les discussions qui ont conduit à la signature de ce protocole font suite à l’annonce du Gouvernement marocain, le 26 février 2014, de suspendre, de manière unilatérale, toute forme de coopération judiciaire entre les deux pays.

En effet, cet accord tend à resserrer les liens avec le Maroc après le gel des relations diplomatiques provoqué par la demande d’audition, par une juge d’instruction française, du chef des services de renseignements marocains, Abdellatif Hammouchi,  en février 2014. Trois plaintes, de marocains exilés en France, pour « complicité de torture » sont à l’origine de cette convocation devant la justice française. En effet, selon deux dispositions du Code de procédure pénale, la France dispose de la compétence universelle qui lui permet de poursuivre les auteurs ou complices d’infractions commises hors du territoire français. Cette compétence est néanmoins limitée aux infractions prévues par la Convention de Genève de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ainsi, la compétence universelle, telle qu’elle a été incorporée dans la législation française, peut être mise en œuvre seulement si l’inculpé se trouve sur le territoire français et uniquement pour les crimes mentionnés dans la Convention de Genève de 1984. Une exception est néanmoins faite pour les tribunaux internationaux ad hoc qui peuvent appliquer la compétence universelle pour les crimes commis depuis 1991 en ex-Yougoslavie et ceux perpétrés en 1994 au Rwanda ou par des rwandais dans des Etats voisins.

La crise diplomatique provoquée par ces plaintes, instruites au nom du principe de compétence universelle, a fortement endommagé l’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Maroc, lien particulièrement actif au regard des centaines d’affaires judiciaires impliquant les deux pays et portant sur des sujets très variés, tels que le trafic de drogue, les enlèvements d’enfants ou encore les litiges commerciaux. A titre d’exemple, pour la seule année 2013, 85 demandes avaient été adressées par la France et 952 demandes adressées au total depuis 1998. Aussi, la suspension judiciaire a entrainé des répercussions dommageables sur les demandes françaises en cours qui ont dû être mises en attente. De plus, cette suspension privait la France d’informations importantes en matière de lutte contre le terrorisme.

Ce protocole est présenté comme un outil de l’amélioration de la coopération judiciaire entre les deux pays. Malheureusement, il présente également le risque de favoriser l’impunité de certains dignitaires marocains soupçonnés de graves violations des droits humains, notamment en leur permettant d’échapper à toute poursuite engagée sur le territoire en français. Ainsi, le paragraphe 2 de l’article 23 bis, prévoit que chaque partie doit informer immédiatement l’autre partie des procédures relatives à des faits pénalement punissables dès lors que la responsabilité d’un de ses ressortissants est engagée.  De plus, le paragraphe 3 prie le juge français, saisi d’une plainte pour un crime relevant de cette compétence, et commis au Maroc par un étranger ou un marocain, de renvoyer l’affaire à un juge marocain ou bien de la clôturer. En l’absence de réponse ou en cas d’inertie de la justice marocaine, l’autorité judiciaire française pourra poursuivre la procédure.

Cet accord franco marocain met, d’une part, en péril la garantie de l’indépendance des magistrats français et le secret de l’instruction française dans les affaires de plaintes relevant de la compétence universelle et donnera, d’autre part, la possibilité, pour tout autre État ayant une relation privilégiée avec la France, de négocier le même type d’accord. S’il me semble essentiel que le Gouvernement continue à reconnaitre les efforts du régime marocain en matière de réformes démocratiques en revanche, nous ne devons pas oublier que ce même régime a encore recours à la torture dans les cas concernant la sûreté de l’État, tels que le terrorisme, l’appartenance à des mouvements islamistes, ou des partisans de l’indépendance pour le Sahara occidental. Le rapport d’Amnesty International qui détaille 173 cas de torture au Maroc, sur la base de témoignages recueillis entre 2010 et 2014, nous rappelle que policiers et membres des forces de sécurité continuent de pratiquer la torture et autres mauvais traitements à des hommes, des femmes et des mineurs.