Projet de loi relatif au renseignement : une protection insuffisante des libertés individuelles
L’Assemblée examine en ce moment le projet de loi relatif au renseignement. Ce nouveau texte de loi, annoncé au lendemain de l’attentat de Tunis, s’inscrit dans la volonté manifestée par le Gouvernement à la suite des attentats de janvier de renforcer la protection contre la menace terroriste. En septembre dernier, l’Assemblée avait déjà adopté un texte de loi relatif au renforcement de la lutte contre le terrorisme. Cette loi prévoyait notamment de créer une interdiction de sortie de territoire dans le code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), et de durcir les peines prévues pour faits de terrorisme. Si l’on ne peut que comprendre la volonté de renforcer la sécurité, il convient de rappeler que les textes travaillés dans l’urgence sont rarement ceux qui apportent des réponses durables.
Le texte en discussion a pour objet de permettre aux services de renseignement de recueillir des informations dès lors qu’elles ont trait à la prévention du terrorisme, l’attentat à la forme républicaine des institutions (concrètement, la mise en cause du régime), l’intérêt de la France dans sa politique étrangère, l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire.
Pour ce faire, le texte de loi prévoit notamment d’autoriser les services de renseignement à se saisir des moyens de captation d’informations jusque-là réservés à la police judiciaire. Parmi ces moyens, on trouve la possibilité d’utiliser des logiciels espions, des micros, des balises et des caméras dans l’optique de recueillir des volumes importants de données internet et téléphoniques. Ces dispositifs pourront recueillir des informations échangées en temps réel. Dans la rédaction actuelle, l’article L. 851-4 permet au Premier ministre d’ordonner aux opérateurs de télécommunication de procéder à la détection automatique de données dites « suspectes », entrainant de fait la collecte massive de données sans lien direct avec des faits de terrorisme.
Si l’affinement des moyens de collecte des informations peut participer à une meilleure prévention des actes terroristes, mais limiter les libertés individuelles, même de manière apparemment minime, n’est pas une garantie de sécurité pour tous. Surtout, le recours à ces méthodes de surveillance fait peser une menace sérieuse sur le droit au respect de la vie privée, de même qu’au secret des correspondances et des sources journalistiques, ou encore au secret professionnel des avocats. L’article L 852-1 prévoie la possibilité de mettre sur écoute les « personnes appartenant à l’entourage de la personne visée par l’autorisation » s’ils jouent un « rôle intermédiaire », volontaire ou non. Il faut être conscient que l’on ne peut mettre sur écoute la vie privée d’individus suspects sans par la même occasion capter celle des personnes qui communiquent avec elles, ou simplement vivent et travaillent dans les mêmes lieux. Cette impossibilité de cibler les écoutes doit rendre extrêmement prudent sur les moyens alloués aux services de renseignement, et sur les procédures de contrôle encadrant le recours à ces moyens.
Une insuffisance des procédures de contrôle
C’est, je crois, l’autre problème majeur de ce texte de loi. En effet, toutes les écoutes et interceptions seront autorisées par le Premier ministre, sans recourir à un juge, auquel sera préféré l’avis d’une autorité administrative instituée par le projet de loi, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Cette autorisation devra être délivrée sous 24 heures, et trois jours si la CNCTR émet un doute sur la validité de la demande. Attribuer l’autorisation des écoutes à l’exécutif plutôt qu’au pouvoir législatif – et de surcroît sans contrôle judiciaire – me semble dangereux.
Le travail parlementaire en commission et dans l’hémicycle a permis de corriger un certain nombre de points, notamment concernant le renforcement des pouvoirs de cette autorité, à laquelle le Premier ministre ne pourra désormais s’opposer qu’en fournissant un avis motivé. De même, la procédure d’urgence prévoyant que le Premier ministre pouvait se passer en cas d’urgence de l’avis de la commission a été modifiée, afin de préciser le caractère exceptionnel de l’urgence. Le champ en a également été restreint : l’urgence ne pourra pas s’appliquer lorsque le domicile d’un journaliste, d’un avocat ou d’un parlementaire sera la cible des écoutes. Pour autant, les avis délivrés par la CNCTR ne sont pas contraignants pour le Premier ministre, or il me semble que c’est une condition essentielle pour que cette commission exerce un contrôle effectif.
Malgré ces évolutions, le texte me semble devoir appeler toute notre vigilance. Il ne me semble pas acceptable qu’en dernier lieu l’exécutif décide de l’opportunité d’une mise sur écoute formulée par les services de renseignement. Ces dispositions législatives me semblent de nature à mettre en rapport des instances qui, dans d’autres contextes, à d’autres époques, sont susceptibles de trop d’intérêts convergents pour que l’on ne se prémunisse pas contre ce qui pourrait en résulter. De la même manière, dans la mesure où le projet de loi n’impose pas de contrôle judiciaire des mesures de surveillance, l’indépendance de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ne me semble pas garantie à l’égard du politique et des institutions.
Enfin, le texte doit être explicite sur les modalités de transfert au juge judiciaire des infractions constatées par les services de renseignements, conformément à l’article 40 du Code de la procédure pénale, qui stipule que « tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements ». En l’absence d’éléments stipulant les conditions de transmission des éléments recueillis au juge judiciaire, celui-ci ne pourra pas remplir sa mission d’investigation sur les infractions repérées par les services de renseignement, et les personnes suspectées ne bénéficieront par conséquent pas des protections afférentes à la procédure judiciaire.
S’il est nécessaire et légitime d’adapter les moyens de lutte contre le terrorisme, on ne saurait se passer de protections institutionnelles garanties par la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire, et faire reposer la protection des libertés individuelles sur la seule bonne volonté de ceux qui veillent sur elles.
Imprimer l'article | Cette entrée a été postée par Barbara Romagnan le 14 avril 2015 à 11 h 48, et placée dans Justice, sécurité, défense. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via RSS 2.0 Les commentaires et les pings sont fermés pour l'instant |
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