Assemblée nationaleMardi 2 juin, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi relatif à la modernisation du dialogue social et à l’emploi. Ce texte été voulu par le Gouvernement après l’échec de la négociation entre les partenaires sociaux pour trouver un accord sur le dialogue social. Ici, le dialogue social peut être défini comme regroupant tous types de négociations ou d’échanges d’informations entre les représentants des employeurs et les salariés, et le Gouvernement sur des questions concernant la politique économique et sociale.

La réforme comporte un certain nombre d’avancées qui méritent d’être saluées (représentation des salariés dans les TPE, pérennisation du régime des intermittents). D’autres points appellent des précisions ou notre vigilance, notamment l’intégration des CHSCT à des Délégations Unique du Personnel sous certaines conditions, ou encore la question de l’égalité professionnelle. Concernant cette dernière, le travail parlementaire, en lien avec le Gouvernement, a permis de corriger partiellement la suppression du RSC, qui a alarmé a juste titre nombre d’associations, de syndicats et de députés.

Des avancées pour les droits des salariés

Le compte personnel d’activité
Actuellement, les droits des salariés sont rattachés aux contrats de travail et non à la personne. Ainsi, l’interruption du contrat de travail signifie la perte des droits accumulés. Or, les carrières sont de plus en plus hachées, et l’emploi de plus en plus précaire, par conséquent la garantie des droits sociaux propres au salarié constitue un moyen de sécuriser son parcours professionnel. C’est aussi une façon de minimiser autant que possible l’impact d’une période de chômage par exemple.

Afin de simplifier et surtout de garantir l’accès à ces droits, la loi prévoit la création d’un compte d’activité qui regroupera tous les droits reconnus au salarié (les comptes de formation, pénibilité et épargne-temps) et qui le suivra tout au long de sa carrière professionnelle, indépendamment des contrats de travail. Il permettra d’affecter à chaque actif, dès son entrée sur le marché du travail, un compte mobilisable lors des transitions professionnelles et tout au long de la carrière. Ce mouvement avait d’ailleurs été amorcé par la loi du 14 juin 2013 de sécurisation de l’emploi, avec la création du compte personnel de formation (CPF).

Cette mesure devrait donc permettre notamment aux salariés en intérim, aux personnes en apprentissage ou celles bénéficiant de nombreux CDD consécutifs de ne plus perdre le bénéfice de leurs droits – notamment en termes de formation – à chaque rupture de contrat de travail. Ce sont précisément dans les moments de ruptures que le droit à la formation peut jouer son rôle au mieux.

La prime d’activité
Une autre mesure importante en termes de droits des salariés est la mise en place d’une prime d’activité au 1er janvier 2016. Cette prime d’activité remplacera en les fusionnant la prime pour l’emploi et le RSA activité, et devrait permettre de corriger certains problèmes posés par les deux dispositifs précédents, notamment en termes de non-recours. Le rapport d’évaluation du RSA de 2012 estime en effet que 36 % des allocataires potentiels du revenu de solidarité active (RSA socle, ex-RMI) et 68 % de ceux du RSA activité (complément de revenu versé aux travailleurs pauvres) ne demandent pas à en bénéficier.

La prime d’activité est une prestation qui viendra compléter les ressources des travailleurs aux revenus modestes. Elle sera donc versée aux personnes en activité (salariés comme travailleurs indépendants), et son montant sera calculé en fonction de la composition et des ressources du foyer. Jusque-là, la prime pour l’emploi était calculée et versée individuellement, ce qui ne permettait pas toujours de s’adapter au mieux à la réalité des situations.

Ouverte aux jeunes actifs dès 18 ans, la prime d’activité sera versée chaque mois : les bénéficiaires devront déclarer tous les 3 mois leurs revenus perçus au trimestre précédent. En échange et pour plus de stabilité, le montant de la prime sera calculé pour 3 mois fixes, ce qui devrait permettre aux familles de planifier leurs budgets avec plus de lisibilité. Ainsi, durant ces 3 mois, le montant ne variera pas, même en cas de changements de situation familiale ou professionnelle du bénéficiaire. Trop souvent en effet, les ajustements au mois près rendent les montants imprévisibles, alors que la situation, après s’être brièvement améliorée, peut se dégrader le mois suivant.

Des garanties pour les droits syndicaux
Le texte de loi comporte également un volet concernant les droits syndicaux. A cet égard, la réforme prévoit une mesure de généralisation des commissions paritaires régionales et de la représentation des salariés des petites entreprises. Dans chacune des 13 nouvelles régions une commission régionale interprofessionnelle composée de 10 salariés et de 10 employeurs issus des TPE sera créée. Ces commissions auront pour rôle de donner des conseils en matière de droit du travail aux salariés et employeurs, et notamment concernant l’emploi et la formation.

La conséquence est importante, car ces commissions permettront que 4,6 millions de salariés supplémentaires bénéficie d’une représentation syndicale au niveau régional. Les membres de ces instances pourront informer les salariés et employeurs des dispositions légales ou conventionnelles les concernant, mais n’auront pas accès aux locaux des entreprises. Le travail parlementaire a également permis d’instaurer la parité entre les femmes et les hommes pour les désignations des membres. Il a aussi permis de repréciser plus spécifiquement leurs compétences dans le sens de l’égalité professionnelle et du temps partiels, qui constitue une question clef pour l’égalité entre les femmes et les hommes, dans la mesure où 80% des temps partiels sont assumés par des femmes.

Dans le même ordre d’idée, le texte de loi s’est aussi attaché à favoriser une meilleure reconnaissance des parcours syndicaux, en renforçant les entretiens avec l’employeur sur les modalités d’exercice du mandat syndical. Actuellement en effet, il n’existe pas de valorisation spécifique des acquis de l’expérience de mandats syndicaux, et la loi ne prévoit pas d’entretien de prise de fonction, ce qui empêche l’employeur et le salarié de planifier l’articulation de la carrière et de l’engagement syndical du salarié.

Le projet de loi prévoit donc de renforcer ces entretiens en organisant un premier entretien au début du mandat et un autre à son issue afin de recenser les compétences acquises entre temps. Pour bénéficier de ce second entretien, il faudra avoir bénéficié d’heures de délégation dans une proportion supérieure à 30 % du temps de travail annuel. Le champ de ce dispositif s’explique par le fait que l’idée de cette mesure est de cibler les personnes ayant été le plus éloignées de leur poste de travail, ce qui n’est pas le cas des 600 000 salariés concernés par des engagements syndicaux.

Simplifier du dialogue social sans l’appauvrir

L’autre thème principal de la réforme portait sur la simplification du dialogue social. La difficulté consistait à simplifier sans appauvrir. Certains points ont dû être retravaillés, d’autres devront l’être encore.

D’une part, la réforme réunit les 17 négociations obligatoires et obligations d’information du CE en trois principaux moments. Il s’agissait d’une demande ancienne des syndicats, car l’atomisation de ces obligations d’information rendait les points débattus difficilement lisibles. Les trois grands thèmes de négociation porteront désormais sur la rémunération, le temps de travail et la répartition de la valeur ajoutée ; la qualité de vie au travail ; la gestion des emplois et des parcours professionnels. La refonte opérée ici devrait permettre de rendre plus efficace les négociations et de simplifier la communication qui en sera faite.

D’autre part, la réforme permet aux entreprises de moins de 300 salariés de regrouper en une Délégation Unique du Personnel les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Les différents organes regroupés conservent l’ensemble de leurs attributions.

Préserver l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

Suite à la suppression par certaines dispositions du projet de loi d’outils importants permettant de collecter des informations relatives à l’égalité professionnelle, la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale et le monde associatif se sont attelés à la restauration de ces outils.

Rétablissement du rapport de situation comparée (RSC)
Créé par la loi Roudy de 1983, le rapport de situation comparée est une analyse de la situation respective des femmes et des hommes qui constitue une grille de lecture commune à toutes les entreprises. Elle permet de mesurer de manière chiffrée l’évolution de l’égalité. Ce sont ces outils qui avaient été dilués voire supprimés dans la première version du projet de loi.

Le travail parlementaire, grâce à la vigilance des associations, a permis de restaurer les 9 thèmes du RSC : embauche, formation, promotion professionnelle, qualification, classification, conditions de travail, santé et sécurité au travail, rémunération effective, articulation entre l’activité professionnelle et l’exercice de la responsabilité familiale. Pour que ces points restent obligatoires et ne puissent pas être contournés, le projet de loi a veillé à exclure la possibilité d’adapter la liste et le contenu de ces informations par accord d’entreprise.

Ce travail d’amendement a également été l’occasion de mettre en place une avancée en matière d’égalité. En effet, dans la mesure où le RSC a été intégré à la Banque de Données Unique (BDU), il s’appliquera désormais également aux entreprises à partir de 50 salariés, car la BDU sera obligatoire pour les entreprises à partir de ce seuil.

L’égalité professionnelle garantie dans les négociations
Les amendements ont également permis la préservation d’une négociation spécifique, appelée « Égalité professionnelle et Qualité de vie au travail » (EPQVT), qui devra aboutir à un accord spécifique concernant l’égalité professionnelle. C’est là que la RSC joue tout son rôle : l’accord EPQVT devra en effet se faire sur la base des informations collectées sur la situation comparée des femmes et des hommes.

Pour simplifier les procédures, le projet de loi prévoyait qu’une négociation puisse devenir triennale au lieu d’annuelle en cas d’accord d’entreprise ; les amendements de la délégation aux droits des femmes ont conditionné cette possibilité à la signature d’un accord ou à l’existence d’un plan d’action sur l’égalité professionnelle. Cette mesure permet de s’assurer que le recours à une négociation triennale ne soit pas un moyen de différer la mise en place de mesure visant l’égalité.

La création d’un droit d’expertise
Parfois, la simple garantie d’une négociation peut ne pas suffire à la défense de l’égalité, notamment lorsque les informations manquent, ou lorsque les données collectées doivent être analysées plus finement. Par conséquent, même en cas de négociation obligatoire, les membres du comité d’entreprise ne peuvent toujours étayer efficacement leurs revendications, comme ils ont pu en témoigner lors du travail d’auditions. C’est pour cette raison que les députés ont mis en place ce que l’on appelle un « droit d’expertise ». Concrètement, ce nouveau droit permettra de faire appel à un expert compétent en matière d’égalité professionnelle, afin justement d’aider à analyser les données du RSC. Le recours à cet expert sera financé par l’employeur.

Pérenniser le modèle de l’assurance-chômage des intermittents

Le texte relatif au dialogue social et à l’emploi s’est également fixé pour objectif de se donner les moyens de pérenniser le régime d’assurance-chômage des intermittents, qui concerne près de 680 000 emplois directs. A cet égard, la loi reconnait la légitimité du caractère exceptionnel de l’intermittence en inscrivant dans le code du travail le principe des annexes 8 et 10 pour écarter toute menace de disparition de ce régime. Par ailleurs, les représentants des professionnels du spectacle pourront, comme ils en faisaient la demande depuis longtemps, participer aux négociations concernant l’évolution et la discussion des règles d’assurance-chômage de leur secteur.

Ainsi, le projet de loi relatif au dialogue social me parait présenter un certain nombre de mesures qui ont fait que j’ai voté pour son adoption. Il ne solutionne pas tout, il implique de suivre attentivement les dispositifs mis en place, mais il propose à mon sens des outils susceptibles de corriger un certain nombre de situations – au premier rang desquelles la représentation des salariés des TPE et le régime des intermittents.