Tunisie, Egypte… Je vous offre la lecture d’un texte d’un ami sur le formidable soulèvement démocratique dans le monde arabe, en ce début d’année.

Egypte - Place Al Tahrir

Egypte - Place Al Tahrir

C’est avec un fort sentiment de dignité retrouvée que le regard des Arabes est rivé sur la situation en Tunisie et en Egypte. Et comment ne pas se réjouir de ce vent de liberté qui souffle aujourd’hui dans ces deux pays, et demain certainement dans d’autres contrées ? Car c’en est assez que les pays arabes vivotent à la traîne des nations à cause de leurs dirigeants archaïques. C’en est assez que le citoyen arabe reste coincé dans un emprisonnement physique et mental entre des dictatures abjectes et des menaces de l’impasse islamiste.

Et comment ne pas sentir l’espoir remplir nos cœurs quand on voit tant de jeunes braver la répression policière et crier à la face du monde que le temps est enfin venu de mettre fin à ces tyrannies surannées. Comment ne pas se réjouir que les peuples arabes se soulèvent cette fois-ci pour de bon, à l’initiative de cette belle jeunesse qu’on croyait définitivement dépolitisée et formatée par la fatalité ? Cette jeunesse qu’on imaginait ne vivre que dans le virtuel, et qui justement s’appuie sur les réseaux virtuels pour impulser des mobilisations sans précédent en faveur de la démocratie, de la liberté et de la justice sociale… et contre la corruption qui a gangrené les sociétés arabes depuis plusieurs décennies.

Et quel bonheur de voir les Ben Ali et les Moubarak tomber, au moment même où ceux qu’ils avaient forcé à l’exil sont accueillis en héros dans leurs pays. Quel bonheur de voir à longueur de journée défiler dans la rue des foules enfin débarrassées de cette peur « ancestrale » qui a inhibé des générations entières…

Oh, on voit déjà se dresser un certain cynisme arabe qui prendrait pour des têtes écervelées ces jeunes enthousiasmés à l’idée d’un nouveau monde arabe décomplexé et libre. Tout de même, c’est cette jeunesse, toutes origines sociales confondues, et sans le soi-disant leadership politique traditionnel, qui a ébranlé les fondations de ces tyrannies qui ne savent opposer que la répression brutale et sanglante pour toute réponse à la moindre contestation citoyenne.

Quelle que soit l’issue de ces gigantesques soulèvements, il est certain que le vieux nationalisme arabe ne pourra plus relever la tête, après ces débâcles et après celles à venir. Il est certain que sera clos le cycle de ces régimes aussi corrompus qu’inefficaces.

Encore faut-il que les vieilles classes politiques arabes, de gauche et de droite, sachent prendre le train en marche, et comprennent une bonne fois pour toute qu’ils ne peuvent éternellement tenir leurs peuples à l’écart du mouvement de l’histoire et de la modernité.

Ce qui est en train de se jouer est crucial pour l’avenir : il faut prendre exemple sur cette jeunesse ouverte au monde, cette jeunesse courageuse qui a brisé le mur de la peur. Cette jeunesse prometteuse qui utilise à merveille les outils médiatiques les plus modernes pour chasser les tyrans et réclamer ce qui est dû à tout être humain : à savoir la liberté, la démocratie et la justice sociale. Et foin de ce soi-disant nécessaire autoritarisme pour éduquer je ne sais qui, car ce sont les tenants de cette vision du monde qui ont besoin d’être éduqués…

La jeunesse se soulève en Tunisie

La jeunesse se soulève en Tunisie

En se soulevant de façon quasi spontanée, les Tunisiens et les Egyptiens ont mis à terre la vieille vision occidentale qui consiste en un soutien ferme et constant aux pires dictateurs arabes, sous prétexte que ces dictateurs sont les seuls à pouvoir tenir en laisse les islamistes. Les occidentaux ferment les yeux quand ces dirigeants humilient leurs peuples en instaurant la corruption la plus abjecte. Ils ne disent mot quand ces mêmes dictateurs organisent des parodies de consultations électorales qui leur garantissent des scores outrageants. Les occidentaux font à peine semblant de s’émouvoir quand la police réprime dans le sang toute contestation collective réclamant un peu d’espace pour un peu de liberté d’expression.

Bref, longtemps la souffrance des peuples arabes a laissé l’Occident dans l’indifférence et l’expectative. Il est vrai qu’on supporte plus la souffrance de l’autre que la sienne propre. Triste sort que les démocraties occidentales aient passé les cinquante dernières années à soutenir des régimes les plus rétrogrades et les plus tyranniques. Triste sort que leurs intérêts matériels et stratégiques aient largement piétiné les valeurs universelles qui sont les fondations même de ces vieilles démocraties.

Triste sort enfin que ces vents de liberté balaient les dictatures sans que l’Occident ne le soutienne énérgiquement en vue de jeter les bases d’une nouvelle confiance. Que d’étroitesse d’esprit de ne pas tabler sur la promesse d’une dynamique libératrice de ces jeunesses arabes pour un avenir libre et démocratique.

Bien sûr, qui ne sait que les islamistes se tiennent prêts à s’accaparer du pouvoir pour instaurer des régimes tout aussi rétrogrades, sinon plus encore ? Ils sont là à crier à l’avènement de la démocratie avec des arrière-pensées pour le moins non-démocratique. S’ils s’emparent des rennes du pouvoir, nul doute que le champ des libertés se rétrécira. Nul doute que les droits de l’homme en général et ceux de la femme en particulier en pâtiront tôt ou tard. Quelle que soit leur discours, aussi haut pérorent-ils leur nouvelle et hâtive conversion à la démocratie, ils restent au fond d’eux, tout au moins pour l’heure, des archaïques et des autoritaires qui ne rêvent que d’instaurer leurs lois de Dieu aux dépens du libre-arbitre des citoyens qui ne sont à leurs yeux que des déviants à remettre sur le droit chemin.

Cela dit, la jeunesse arabe, constamment aux aguets de ce qui se passe ailleurs et notamment en Iran, ne fait confiance ni aux nouveaux chantres de l’islamisme modéré ou radical, ni aux résidus du vieux nationalisme arabe agonisant.

De toute façon, il faut mettre fin, d’une manière ou d’une autre, à ce cercle vicieux qui met les Arabes entre le marteau des dictatures actuelles et l’enclume de la menace islamiste.

Il n’est guère de solution durable que celle qui consiste à faire confiance en ces jeunesses arabes qui ne supportent plus le chômage, la corruption, la marginalisation culturelle, et l’injustice sociale. C’est avec ces générations montantes qu’on gagne à poser solidement les fondations d’un monde arabe nouveau, d’un monde arabe arrimé à la marche du monde.

Autrement, ce sera encore plus de dictature et encore plus de révolte. Et ce qui s’ensuit de radicalisation de part et d’autre…

Besançon, le 1er février 2011

Mustapha Kharmoudi
Ecrivain

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