Migrants : l’urgence de planifier une réponse européenne
Alors que François Hollande et Angela Merkel lancent un appel à une réponse européenne à la crise des migrants, 3 000 d’entre eux dérivent en Méditerranée, au large des côtes libyennes notamment. Depuis le début de l’année, près de 220 000 migrants sont arrivés en Europe. Sans pouvoir être sûrs des chiffres, on estime que plus de 2000 autres sont morts en mer pour la seule année 2015. Et depuis 2000, 24 000 personnes ont péri en tentant la traversée.
A cause de l’instabilité politique durable des régions dont ils proviennent, qu’il s’agisse de la Syrie, de l’Afghanistan ou de l’Erythrée, ces vagues de migrants risquent de durer. Nous n’avons pas d’autres choix que de nous organiser.
Ces migrants ne viennent pas par confort, ils ne viennent pas pour nos systèmes de protection sociale dont ils ne connaissent souvent pas l’existence, et desquels ils ne bénéficieront généralement pas, ou bien au prix de complexes démarches administratives. Si en 2014 le nombre de migrants vers l’Europe a triplé ce n’est pas parce que l’Europe serait devenue une destination trois fois plus intéressante, mais bien parce que les crises politiques des régions de départ se sont intensifiées.
La question de l’arrivée des migrants n’est que secondaire, même si c’est celle que nous devons traiter en priorité. La question principale est bien celle de leur départ : les migrants quittent leurs pays parce qu’ils y risquent la mort. Face à ce constat, la construction de murs – comme c’est le cas actuellement en Hongrie –, la « fermeture des frontières », paraissent bien dérisoires.
De la même manière, l’idée d’une lutte contre ceux que l’on appelle les « passeurs » peut trouver sa place dans une politique globale d’immigration, mais elle est accessoire, et l’on fait fausse route en voyant en elle un moyen de diminuer les flux d’immigration. Pour preuve, la destruction ou la confiscation des embarcations saisies n’a eu pour effet que de dégrader les conditions de voyage des migrants.
L’immigration est une question européenne
La réponse ne peut se résumer à celles – individuelles – des pays au contact direct des arrivées. Il faut une coopération européenne à la fois politique et matérielle, sans quoi c’est également l’Union européenne que nous prenons le risque de mettre à mal. Sur l’île de Kos, en Grèce, la municipalité de 30 000 habitants ne peut absorber l’arrivée de 7000 migrants en l’espace de quelques nuits. Il en est de même pour Lampedusa. En les laissant seuls face à cette immigration massive, nous favorisons bien sûr les réactions de rejet et de xénophobie.
C’était d’ailleurs toute la pertinence de créer une agence européenne des frontières, l’agence Frontex (pour Frontières extérieures de l’espace Schengen) afin de faire de l’immigration une question communautaire. Malheureusement, la question de l’immigration s’est essentiellement réduite à celle de la lutte contre l’immigration, et les actions de l’agence Frontex sont principalement d’ordre militaire. Si l’on peut admettre que les moyens matériels dédiés au sauvetage des migrants en mer proviennent de l’armée, la militarisation de la question pose problème, car il ne s’agit pas d’un conflit.
L’immigration est une question politique
Si la situation est celle que nous connaissons aujourd’hui, c’est parce que l’Union européenne échoue à mettre en place une politique coordonnée d’accueil. En juin dernier, les gouvernements des pays de l’Union européenne ont rejeté une proposition du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker d’établir des quotas obligatoires. En juin, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a annoncé la création de 10 500 places d’hébergement. Cette initiative constitue une partie de la solution mais n’épuise pas le débat que nous devons avoir.
Car de manière générale, la question n’est pas de savoir si nous voulons de ces immigrés parmi nous, car ils le seront quoi qu’il arrive ; la question est celle de la place que nous leur réservons : nous avons le choix entre les accueillir, leur apprendre notamment nos langues pour favoriser leur intégration, ou bien les ignorer mais les côtoyer quand-même, aux périphéries des agglomérations sous forme de bidonvilles. Il y a fort à parier que dans vingt ans, si nous ne nous donnons pas maintenant les moyens d’accueillir ces populations, nous regretterons de les avoir assignés à la pauvreté et à l’exclusion.
L’Europe peut absorber les vagues d’immigration
Au premier janvier 2015, l’Union européenne comptait 508,2 millions d’habitants. Que représentent les 274 000 migrants de l’année 2014 au regard d’une telle population ? Un migrant pour 1854 européens, qui peuvent être répartis au prorata des 28 pays européens.
Selon le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés, le nombre des nouvelles demandes d’asile déposées dans les pays industrialisés a ainsi crû de 45 % entre 2013 et 2014. Parmi celles-ci, les Syriens sont les plus nombreux avec 150 000 demandes, dont 138 000 pour Europe. L’Allemagne a traité 41 000 demandes, la Suède 30 000, les Pays-Bas 9 000, la Hongrie 7 000 et la Bulgarie 6 000. La quasi-totalité des demandes traitées ont été acceptées. Ces chiffres sont cependant loin de ceux que connaissent des pays comme la Liban et la Turquie, qui accueillent respectivement 1,1 et 1,7 millions de réfugiés sur leurs sols.
La France, qui continue régulièrement de se définir comme une terre d’asile, n’a reçu, elle, que 3 000 demandes de Syriens. Elle en a refusé un tiers. Actuellement, le total des demandeurs d’asile et des réfugiés représente pour l’instant 0,4 % de la population. C’est 1,1 % en Suède. Chaque année, nous allouons 600 millions d’euros de de notre budget national aux demandeurs d’asile, soit 0,05 % des dépenses publiques. L’excuse de la crise ne tient pas : la Grèce et l’Italie accueillent davantage de migrants alors que leurs difficultés sont égales ou supérieures.
Alors que beaucoup de pays européens ont un solde migratoire négatif, et que nous peinons – entre autres problèmes liés à la démographie – à maintenir à flot nos systèmes de retraites, l’immigration est avant tout une chance. Considérons le courage qu’il faut à ces migrants pour quitter leurs pays et venir en Europe ; c’est assurément la preuve de ce qu’ils peuvent apporter à nos pays, pour peu que nous ne nous fermions pas à eux. Car l’immigration est aussi le signe que l’Europe représente un espoir pour ceux qui souhaitent la rejoindre et contribuer à sa prospérité.
Imprimer l'article | Cette entrée a été postée par Barbara Romagnan le 26 août 2015 à 14 h 37, et placée dans International. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via RSS 2.0 Vous pouvez aller directement à la fin et laisser une réponse. Le ping n'est pas autorisé pour le moment. |