Meule de Comté

© CIGC

Cette semaine, c’est le lancement de la saison du Mont d’Or, avec ce week-end la « Coulée du Mont d’Or » à Pontarlier. Et justement, lundi, j’ai rencontré les directeurs des syndicats interprofessionnels des 4 appellations d’origines protégées (AOP) présentes en Franche-Comté (le Comté, le Morbier, le Mont d’Or et le Bleu de Gex), réunis dans l’Urfac (union régionale des fromages d’appellation d’origine comtoise). Ce rendez-vous m’a permis d’échanger avec eux autour des problématiques qu’ils rencontrent dans une période charnière avec la fin des quotas laitiers notamment.

L’Urfac m’a choisi pour être le relais et la porte-parole en quelque sorte, de leurs préoccupations au sein de l’Assemblée nationale, en étant attentive aux projets de loi, aux amendements… J’ai bien volontiers accepté de défendre ces appellations si importantes pour notre région, d’autant que les principes et les valeurs portées rejoignent les miennes : travail et produit de qualité, respect de la santé et de l’environnement, solidarité et esprit coopératif… La première circonscription du Doubs compte d’ailleurs plus de 80 exploitations agricoles produisant du lait AOP.

Avant de revenir sur les problèmes rencontrés actuellement et pour lesquels nous devons nous mobiliser, il est important de bien resituer ces appellations d’origine.

Histoire d’une réussite…

Les 4 AOP sont produites sur le massif jurassien, en zone de moyenne montagne au climat rigoureux et à la végétation riche et variée. Dès le 13e siècle, les paysans se sont regroupés en « fructeries » pour atteindre les 400 litres de lait quotidien afin de fabriquer une meule, large et lourde pour une longue conservation.

© Morbier

Les 4 AOP d’aujourd’hui – Comté, Morbier, Mont d’Or et Bleu de Gex – disposent de cahiers des charges stricts, présents à chaque maillon de la production. Défini par la loi française, chaque cahier des charges est validé par l’Union européenne et contrôlé par un organisme indépendant ainsi que par l’INAO (institut national des appellations d’origine).

Sur le massif jurassien, 3 000 exploitations produisent du lait AOP, avec de fortes exigences au niveau des prairies et de l’alimentation des vaches laitières (notamment interdiction des OGM). Ce cahier des charges exigeant est le gage de paysages ouverts exceptionnels et d’une grande biodiversité. Il est contraignant également pour les transformateurs du lait AOP (160 fromageries Comté, dont 80 % à statut coopératif) et favorise l’emploi (nécessité d’une importante main d’œuvre : 5 fois plus que l’emmental par exemple). 15 maisons d’affinage assurent la maturation et la commercialisation des produits avec des critères stricts.

Le résultat de ce travail des filières et de ces cahiers des charges contraignants, est la réussite économique. En 10 ans, les ventes de Comté ont augmenté de 17 % environ (41 642 t > 48 711 t). + 90 % pour le Morbier (4 256 t > 8 045 t). + 37 % pour le Mont d’Or (3 477 t > 4 771 t). Mais - 15 % pour le Bleu de Gex (534t > 445t). Dans le même temps, les ventes de fromages du Massif Central ont chuté de 20 %.

Les exigences du cahier des charges et la qualité des AOP régionales permettent une meilleure valorisation du prix du litre de lait : entre + 17 et + 37 % pour rapport au prix moyen du lait en France. Tout cela concourt au dynamisme de l’économie locale, avec 7 000 emplois directs répartis sur un territoire ouvert et préservé, avec un intérêt touristique pour la transformation du lait.

Mais ce modèle d’organisation est actuellement menacé par la libéralisation de la PAC (politique agricole commune) et la sortie des quotas laitiers.

Libéralisation du marché : producteurs et consommateurs seront perdants

Cette suppression des quotas laitiers par l’Union européenne est programmée pour 2015 mais elle est déjà en vigueur dans les faites, puisque les quantités de lait octroyées aux producteurs dépassent largement les possibilités d’absorption par le marché des AOP. Les AOP doivent donc agir pour renforcer leur cahier des charges et maîtriser l’offre.

Mont d'Or

© Mont d'Or

Les 4 AOP ont travaillé pour limiter les intrants (produits chimiques ajoutés aux terres et aux cultures) et maintenir un système peu intensif et artisanal, mais la Commission européenne souhaite au contraire une nette libéralisation et une limitation… des interdits. Et pour maîtriser l’offre afin de lutter contre l’écroulement des marchés, le « paquet lait » européen adopté début 2012 par l’UE donne la possibilité aux AOP de gérer leur marché « fromage ». Mais à ce jour, seul le Comté bénéficie de ce dispositif « d’auto-régulation » qui a permis, en complément des quotas, d’assurer une progression régulière des ventes et des pris de + 1 à 2 % par an depuis 20 ans (de 1976 à 1991, sans quotas et donc sans maîtrise de l’offre, les ventes de Comté ont connu des crises cycliques).

Le risque de la suppression des quotas, c’est également que les fromageries se rabattent vers d’autres productions AOP comme le Morbier, déstabilisant ainsi les autres marchés et faisant quand même baisser le prix de vente du lait. Mais le risque est aussi le développement des fromages d’imitation : c’est déjà une réalité, tant pour que Comté que le Mont d’Or par exemple. Sans compter la dégradation de l’image des AOP et de l’environnement.

Pour empêcher cela, il faudrait élargir la maîtrise de l’offre « fromage » à celle de la production laitière. J’interviendrai d’ailleurs en ce sens auprès du ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, qui, en plus de très bien connaître ces questions, en partage la philosophie. Nous devons donc peser au niveau européen pour réorienter la politique agricole commune et contrer cette libéralisation qui ne profite ni aux producteurs, ni aux consommateurs.

Enfin, j’ajoute que les responsables des AOP comtoises m’ont également sensibilisée aux questions de pression sanitaire et d’affichage nutritionnel ou environnemental qui, s’il part d’un bon sentiment au départ, peut conduire à une simplification à outrance et à produire l’effet inverse à celui recherché en favorisant les fromages industriels standardisés. Ce n’est, en tout cas, pas ma conception de la richesse de notre patrimoine agricole et gastronomique.

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