La Presse Bisontine, juin 2013 : interview
« Je suis rétive à la discipline »
On ne bâillonne pas Barbara Romagnan. La députée socialiste du Doubs use de sa liberté de parole pour faire avancer des débats sur le non-cumul des mandats ou la transparence dans l’utilisation de l’argent public par les parlementaires. Selon elle, la reconquête de la confiance des Français passe aussi par là.
La Presse Bisontine : Vous avez récemment déclaré à Médiapart vous sentir mal à l’aise au Parti Socialiste. D’où vient ce mal-être ?
Barbara Romagnan : Lorsqu’on est nombreux, la diversité des positions est plus probable. Il y a des moments de grande satisfaction sur la politique nationale comme la couverture maladie universelle (C.M.U.) ou la parité. Il y en a d’autres, plus difficiles, quand on se dit qu’on appartient aussi au parti de Jean-Noël Guérini qui n’en a toujours pas été exclu.
Le fait de pouvoir exprimer un malaise ne dit rien de la loyauté que l’on peut exprimer vis-à-vis de membres du P.S. Le doute est à mon sens utile et nécessaire à une organisation politique. Je me sens d’abord de gauche avant d’être socialiste. Ce qui m’intéresse, c’est l’union de la gauche.
L.P.B. : Vous vous êtes abstenue sur le vote concernant le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi. Vous avez voté contre le traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Pourquoi ?
B.R. : Concernant le texte sur la sécurisation de l’emploi, j’ai rencontré les syndicats, j’ai fait mon travail de parlementaire, j’ai participé aux débats avec sérieux. Si je me suis abstenue, c’est parce que je ne suis pas satisfaite du résultat. La philosophie du texte est de dire qu’il faut plus de flexibilité sur le marché de l’emploi. Je n’y crois pas. Ceci étant, je ne retire pas de fierté particulière de m’être abstenue. Pour ce qui est du débat sur le traité européen, il a eu lieu. Mais ce n’est pas parce qu’il a eu lieu que j’avais obligation de voter comme le groupe.
L.P.B. : Comprenez-vous que le fait que vous ne respectiez pas toujours la discipline du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale dérange vos collègues et des militants ?
B.R. : Ce n’est pas parce que la majorité du groupe socialiste a une position que cela suffit à faire la mienne. Je suis rétive à la discipline, mais soucieuse en revanche de la solidarité du groupe. Nous sommes toujours tiraillés entre le parti auquel on appartient, les orientations du gouvernement, les engagements du président de la République et ses convictions personnelles. Je comprends que ma façon d’agir dérange parfois des camarades, je ne suis moi-même pas certaine d’avoir raison dans cette façon de faire. Mais à l’inverse, il y a aussi nombre de militants au P.S. qui se sentent blessés par l’attitude de leurs responsables et qui se reconnaissent dans ma démarche.
L.P.B. : Que répondez-vous à ceux qui prétendent que votre seul objectif est de vous faire remarquer, de faire parler de vous ?
B.R. : Je n’oublie pas ce qui fait que je suis élue ! Je ne suis pas ingrate, je ne crache pas dans la soupe. Je ne prends pas une position dissonante dans le but de me faire remarquer. Je cherche à faire admettre qu’on puisse avoir une part de doute et que les choses ne sont pas blanches ou noires sur certains sujets. Ce n’est pas parce qu’on vote différemment qu’on est en rupture avec son groupe.
L.P.B. : Vous militez pour plus de transparence dans l’utilisation des réserves parlementaires par les députés. Vous en agacez beaucoup à gauche avec ce sujet. Pourtant, la transparence ne devrait-elle pas relever du bon sens surtout dans le contexte actuel ?
B.R. : Dans le groupe socialiste, 90 % des députés reçoivent 130 000 € par an au titre de la réserve parlementaire. Cette égalité de traitement est nouvelle. C’est un premier point. En revanche, la transparence reste au bon vouloir de chaque député. C’est ce que je conteste car il s’agit d’argent public. Quand j’ai été élue, j’ai dit que je réserverais cette enveloppe aux projets qui concernent l’enfance, la santé et le développement durable. J’ai publié cela. C’est le minimum que l’on puisse faire sachant que dans la plus petite des mairies, chaque euro utilisé doit être justifié.
Or, quelle légitimité a un député pour attribuer cet argent, seul, à des associations par exemple ou pour soutenir tel ou tel projet ? Cet argent public pourrait être mal utilisé. Selon moi, ces enveloppes devraient revenir aux collectivités. La logique serait plutôt celle-là.
L.P.B. : Rien n’oblige non plus les parlementaires à rendre compte de l’I.R.F.M. qu’ils perçoivent en plus de la réserve parlementaire. De votre côté, comment utilisez-vous votre indemnité de représentation de frais de mandat qui avoisine les 6000 euros nets par mois ?
B.R. : Je l’utilise pour couvrir les frais liés à ma permanence comme le loyer, le fonctionnement. Une partie sert également à des travaux d’impression comme un quatre pages que je prépare pour évoquer le bilan d’une première année d’exercice. J’ai acheté également 400 exemplaires du magazine Alternatives économiques sur l’économie sociale et solidaire en Franche-Comté. L’I.R.F.M. me sert aussi à organiser des conférences, et à compléter la rémunération de mes collaborateurs.
L.P.B. : Pourquoi plaidez-vous pour plus de transparence sur l’argent des parlementaires ?
B.R. : Le problème est qu’il puisse y avoir des dérives. Ce doute jette le discrédit sur la classe politique. Or, les citoyens devraient pouvoir juger de l’utilisation de l’argent public. Tant qu’il n’y a pas de règles, on nourrit le fait que tout le monde puisse dire n’importe quoi sur le sujet. Ce n’est pas la crédibilité de tel ou tel qui est mise en cause dans cette histoire.
L.P.B. : En revanche, est-ce la crédibilité des élus qui est en jeu dans le débat sur le non-cumul des mandats ?
B.R. : Une majorité de députés socialiste ont signé une lettre avant les élections législatives stipulant qu’ils démissionneraient de l’exécutif dans lequel ils siègent s’ils devaient être élus. Pas la moitié d’entre eux l’a fait ! Quand j’ai été élue, j’ai démissionné du Conseil général comme je l’avais dit. Comment voulez-vous que l’on soit crédible pour régler des problèmes aussi importants que le chômage, lorsqu’on n’est pas capables de respecter un engagement comme celui du non-cumul ? De mon point de vue, ces différentes mesures sur le non-cumul, la transparence autour de l’argent des parlementaires, seraient sans doute insuffisantes, mais elles me paraissent nécessaires pour reconquérir la confiance des Français. Beaucoup d’élus prennent mes prises de position sur ce sujet comme une leçon. Je le regrette.
L.P.B. : Vous dites que François Hollande a cédé aux lobbies sur la question du non-cumul. Qui sont ces lobbies ?
B.R. : Il y a sans doute des élus locaux qui cumulent et qui n’ont pas l’intention d’arrêter. Ces gens-là sont aussi des soutiens de François Hollande, ils l’ont été durant la campagne présidentielle.
L.P.B. : Vous associez le non-cumul des mandats à la notion de partage du pouvoir. Faut-il comprendre que le non-cumul favoriserait la diversité en politique et le renouvellement de la classe politique ?
B.R. : C’est important que le pouvoir puisse être partagé. Beaucoup de gens n’ont pas de mandat du fait aussi de la situation de cumul de certaines personnes, alors qu’ils feraient probablement d’excellents élus.
L.P.B. : Pourquoi, selon vous, une majorité d’élus traîne des pieds sur ces questions de transparence et de non-cumul ?
B.R. : Je n’ai pas la réponse. C’est peut-être un problème de culture. Les élus considèrent peut-être qu’ils n’ont pas à faire preuve de leur honnêteté.
L.P.B. : Le fait d’exiger des ministres qu’ils publient leur patrimoine était-elle une réponse adaptée selon vous à l’affaire Cahuzac ?
B.R. : Le sujet n’est pas le patrimoine des élus mais l’utilisation qui est faite de l’argent public ! A mon sens, nous devons mettre en place une commission capable de contrôler qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts. Plutôt que de connaître le patrimoine de chacun, je préférerais savoir qu’on renforce l’inspection des impôts pour lutter contre la fraude fiscale.
L.P.B. : François Hollande continue à dévisser dans les sondages. Quelle importance accordez-vous aux enquêtes d’opinion ?
B.R. : L’action publique a besoin de temps au regard des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Cela ne sert à rien de publier toutes les semaines des enquêtes d’opinion. Créer 60 000 postes dans l’Education nationale, tout en prenant en compte la formation des maîtres, ne se fait pas en un jour. Cela prend du temps. Il faut donc attendre pour que l’action porte ses fruits.
L.P.B. : On entend dire au P.S. que vous pourriez être secrétaire d’État d’ici la fin de ce mandat. Info ou intox ?
B.R. : C’est peu vraisemblable.
L.P.B. : Pourriez-vous être candidate aux élections municipales de 2014 à Besançon ?
B.R. : Ce mandat de parlementaire me tient suffisamment à cœur pour que je ne sois pas candidate aux prochaines élections municipales. Par ailleurs, je dois être cohérente avec ma position sur le non-cumul des mandats.
L.P.B. : Avez-vous l’intention de jouer un rôle dans la campagne des municipales ?
B.R. : Je prendrai une part active dans les prochaines municipales à Besançon. Je participerai aux débats. Je tiens à ce que la gauche l’emporte. C’est ma responsabilité.
L.P.B. : Vous soutiendrez Jean-Louis Fousseret ?
B.R. : Je soutiendrai la liste choisie par les socialistes comme je le fais depuis vingt ans.
L.P.B. : Que pensez-vous du traitement dont fait l’objet le conseiller municipal socialiste Jean-Sébastien Leuba qui a utilisé sa liberté de parole pour souligner des ambiguïtés dans les rapports entre la Ville et l’association « Le Pavé dans le Mare », ce qui lui a valu de se voir retirer sa délégation ?
B.R. : Il était pleinement dans son rôle en posant des questions légitimes concernant l’utilisation de l’argent public. Les Bisontins avaient le droit d’obtenir des réponses à ce sujet et beaucoup lui sont reconnaissants de l’avoir fait. Je crois qu’il devrait au contraire en être remercié. Mais c’est le maire qui en est juge.
L.P.B. : Comment vous sentez-vous dans cette fonction de parlementaire ?
B.R. : C’est un mandat passionnant car on est libre de son organisation. C’est une situation qui est enviable finalement. Je mesure cela, j’essaie donc d’en être digne. Nous sommes dans des conditions de travail et de liberté intéressantes. Cette liberté a un prix : 5 000 euros par mois d’indemnités. Cela justifie que l’on explique à nos concitoyens ce que l’on fait.
L.P.B. : Vous avez enseigné la philosophie. Le monde politique ne manque-t-il pas de sagesse selon vous ?
B.R. : Je m’abstiendrai sur la question de la sagesse. Mais ce serait sans doute opportun d’enseigner plus tôt la philosophie.
Propos recueillis par Thomas Comte
Imprimer l'article | Cette entrée a été postée par Barbara Romagnan le 21 mai 2013 à 13 h 03, et placée dans Politique. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via RSS 2.0 Les commentaires et les pings sont fermés pour l'instant |
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about 2 years ago
Excellent .amities douces .