« Je suis dans l’incompréhension » : interview à L’Est républicain
Interview publiée le 1er novembre 2014 dans L’Est républicain
Le président de la commission d’enquête parlementaire sur la réduction du temps de travail, le député UDI Thierry Benoit, souhaitait auditionner Manuel Valls sur son opinion concernant les 35 heures. Ce que vous, en qualité de rapporteure, n’avez pas voulu. Vous protégez le Premier ministre ?
Sur les dix députés socialistes présents ce jeudi, sachant que seul notre collègue Thierry Benoit était là pour la droite, sept n’avaient pas voté la confiance au gouvernement. Il ne s’agissait donc pas de « protéger » ou de « sauver » le Premier ministre. L’objet de notre commission d’enquête, c’est la loi Aubry. Nous cherchons des informations objectives sur sa genèse et son application. Or Manuel Valls n’était pas à cette époque un des acteurs de la réduction du temps de travail. Il a bien sûr son avis, plein de gens en ont un, mais ce n’est pas notre sujet. Le président de la commission tenait à sa proposition. Comme le règlement de l’Assemblée m’y autorisait, j’ai demandé qu’elle soit soumise au vote. Elle a été rejetée, puisque Thierry Benoît a été seul à se prononcer pour, mais nous n’étions absolument pas en service commandé.
Sur la quarantaine de frondeurs recensés, vous êtes une des dix « historiques » qui n’ont cessé de manifester leur réserve par rapport à la politique menée. Mais rien ne change. Ce n’est pas décourageant pour vous ?
Je suis plus dans l’incompréhension et la déception que dans le découragement. En dépit de tout ce qu’il s’est passé – les couacs et les maladresses du gouvernement qui se multiplient au fil des mois, les départs des ministres Montebourg, Hamon et Filippetti, la sortie politique de Martine Aubry –, rien ne bouge d’un côté ou de l’autre. En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas plus nombreux. Le gouvernement, lui, persiste sur sa lancée sans paraître entendre l’opinion, en particulier celle de gauche. Je ne comprends pas pourquoi autant de députés PS continuent d’approuver cette politique « en décalage ». Une politique qui n’est pas celle pour laquelle ils ont été élus, qui n’a fait montre d’aucune efficacité, qui n’a apporté aucune amélioration et contre laquelle beaucoup d’entre eux se battaient auparavant, certains depuis longtemps. Je ne comprends pas comment ils acceptent cette situation : payer d’énormes chèques à l’agroalimentaire, aux banques… et, pour les financer, geler les prestations aux personnes qui sont dans la difficulté. Comment peuvent-ils le faire tant vis-à-vis d’eux-mêmes et de leurs convictions que du fond de ces décisions ? Si c’est dans la perspective de 2017, je crois qu’ils se trompent. Autrefois, les gens en détresse espéraient que la gauche parvienne au pouvoir. Aujourd’hui, que peuvent-ils espérer ?
Que le FN y accède, semble-t-il, au vu des sondages et des résultats ?
Je ne crois pas. Des gens votent pour le Front national, oui. Mais ils n’espèrent rien.
Vous n’êtes pas très optimiste dans l’ensemble…
Si, parce que, et heureusement, des choses se passent en dehors de la politique. Des chercheurs, des intellectuels, des associatifs se mobilisent et jettent les bases d’une société susceptible de fonctionner autrement. Et nous-mêmes, qui ne faisons pas qu’exprimer des désaccords mais effectuons d’abord notre boulot, travaillons sur des sujets majeurs, telle la transition écologique qui est une question de survie. En même temps, je m’inquiète de la violence des mots et des attitudes.
Que voulez-vous dire ?
Il suffit d’écouter les propos des uns et les autres. Le drame de Sivens en est aussi une démonstration. Il est concevable que tout ministre de l’Intérieur défende ses forces de l’ordre. Mais qu’il ait fallu attendre 48 heures avant que quelqu’un, au gouvernement, ait un mot de compassion pour la mort de Rémi Fraisse, alors que les mêmes s’étaient exprimés sitôt connue la disparition de Christophe de Margerie, est révélateur et m’attriste. Je n’ai rien contre Christophe de Margerie, je le précise. En disant cela, j’entends juste souligner le contraste.
Propos recueillis par Jean-Pierre TENOUX
Imprimer l'article | Cette entrée a été postée par Barbara Romagnan le 14 novembre 2014 à 23 h 52, et placée dans Politique. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via RSS 2.0 Les commentaires et les pings sont fermés pour l'instant |
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