Je suis intervenue, ce mardi 11 décembre, lors de la discussion générale du projet de loi « retenue pour vérification du droit au séjour et modification du délit d’aide au séjour irrégulier ». C’est un projet de loi important, sur lequel je me suis fortement impliquée avec mes collègues socialistes, membres notamment de la commission des lois.

Je vous propose de retrouver la vidéo de mon intervention et sa retranscription.

« Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, ce projet de loi aura été pour nous l’occasion de nous rappeler la loi du 11 mai 2011 initiée par M. Besson et votée sous M. Guéant et d’en dénoncer à nouveau les travers. Une loi contre laquelle la gauche s’était mobilisée, une loi sur laquelle nous n’avons pas changé d’avis, une fois arrivés au pouvoir.

Pour mémoire, je rappelle que, fin mars 2010, au prétexte de la transposition de directives européennes, le précédent gouvernement déposait un texte, qui prévoyait la création des zones d’attente ad hoc, la prolongation de la rétention allant jusqu’à douze mois pour les étrangers condamnés pour des actes de terrorisme.

Ce texte prévoyait également, et c’est ce qui nous occupe aujourd’hui, le report de l’intervention du juge des libertés et de la détention de deux à cinq jours. Ce report à cinq jours permet indirectement de contourner l’intervention du juge des libertés et de la détention. Autrement dit, le départ de l’étranger peut être organisé et mis en œuvre avant même qu’il n’ait pu contester les conditions de son interpellation.

En effet, seules les décisions prises à son encontre, et non les conditions de sa privation de liberté, font l’objet d’un contrôle de légalité, ce qui dans un pays qui se dit État de droit peut poser question.

Et si ce texte avait été déposé, c’était bien pour mettre sur la touche celui qui, en 2009, avait osé libérer les ressortissants afghans interpellés lors du démantèlement de la jungle de Calais.

Ce juge judiciaire remplissait pourtant parfaitement son rôle de gardien des libertés individuelles, rôle défini à l’article 66 de notre Constitution et reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme qui a établi que l’exigence qui s’impose au magistrat est « d’examiner les circonstances qui militent pour ou contre la détention et de se prononcer selon des critères juridiques sur l’existence de raisons la justifiant ».

Ce projet de loi ne permet pas encore de modifier les modalités d’intervention du juge des libertés et de la détention, comme vous nous l’avez rappelé, monsieur le ministre. Le Gouvernement a choisi la procédure accélérée, sans doute pour répondre à l’urgence bien légitime de préserver de poursuites judiciaires les personnes, physiques ou morales, qui viendraient en aide aux personnes en danger et en situation irrégulière, d’autant que l’aide et l’assistance à toute personne en danger est un engagement international de la France. Or cette procédure accélérée ne nous offre pas la possibilité de remédier immédiatement – comme la majorité des personnes auditionnées en ont exprimé le souhait – à cette remise en cause vraiment problématique de l’intervention du juge des libertés et de la détention. Mais heureusement, monsieur le ministre, vous avez annoncé que cette question ferait l’objet en 2013 d’une mission et qu’un parlementaire serait nommé au plus vite à cette fin.

Dans cette perspective, je veux apporter quelques précisions.

J’aimerais tout d’abord rappeler que le précédent gouvernement ne pouvait se prévaloir d’une quelconque obligation liée à la « directive retour » pour reporter ce délai d’intervention car son article 15 impose, au contraire, de prévoir lorsque la rétention est ordonnée par l’autorité administrative – comme c’est le cas en France – un « contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention le plus rapidement possible à compter du début de la rétention ».

On a pu entendre que ce report était justifié par la prédominance, dans le droit des libertés publiques, de la sauvegarde de l’ordre public. Lutter contre l’immigration irrégulière participerait à la sauvegarde de l’ordre public et justifierait que l’on accorde aux étrangers une protection moindre qu’aux autres catégories de personnes – ce sont en effet les seuls pour qui ce délai d’intervention est aussi long, les personnes en garde à vue et les personnes internées d’office bénéficiant de délais bien plus courts.

Maintenant que la Cour de cassation a jugé que le seul fait d’être en situation irrégulière ne constituait pas un délit, une telle justification est-elle d’actualité ? J’ai toujours pensé qu’elle était dépourvue de bien-fondé et je crois que nous ne pouvons qu’en être davantage convaincus aujourd’hui.

Pour que le juge des libertés et de la détention puisse à nouveau assumer pleinement ses fonctions de protection de la liberté individuelle des étrangers placés en rétention, fonctions qui lui sont assignées par le droit constitutionnel, le droit communautaire et le droit européen, je tenais à formuler ces quelques remarques, en espérant qu’elles seront prises en compte par le parlementaire à qui il incombera de travailler sur ces questions dans les prochains mois. »