Favorable à l’amnistie sociale et solidaire du groupe
On peut s’interroger sur le principe de l’amnistie. Des lois existent, et les peines prévues, connues d’avance, sont appliquées conformément à la législation. On peut par ailleurs penser qu’une amnistie pourrait encourager la violence, alors que l’application des peines garantirait l’ordre par la dissuasion. On peut enfin être favorable au combat social et aux revendications qu’il porte, tout en estimant que les débordements n’ont pas lieu d’être, et que leur condamnation n’entrave en rien l’expression des mouvements sociaux.
Pourtant, certains points me paraissent discutables et mériter d’être interrogés ou précisés.
Le projet d’une loi d’amnistie ne saurait être compris qu’à la condition d’être replacé dans le contexte qui est le sien. Les débordements observés lors des mouvements sociaux ne sont pas des délits ordinaires, commis de manière isolée ; ils s’expliquent par une conjoncture particulière, voire exceptionnelle. Ils ne sont pas la finalité de l’action, mais une conséquence marginale d’une action plus vaste. Surtout, le contexte est celui d’une lutte sociale, sous-tendue par des motivations politiques. Pour cette raison, isoler de leur contexte les faits reprochés revient à les dénaturer. En effet, les manifestants et syndicalistes condamnés l’ont été dans le cadre de revendications qui ont souvent permis de faire avancer les droits de tous ou étaient justifiées par cet objectif ou encore visaient à la défense de l’emploi. En évoquant la crise économique et sociale, la précarisation des travailleurs et le recul des droits, on ne cherche ni à légitimer la transgression de la loi ni à promouvoir la violence, mais à replacer cette transgression dans un mouvement plus large qui la dépasse et l’explique largement à défaut de la justifier.
Le dialogue social est évidemment préférable aux conflits sociaux mais la réalité sociale donne surtout à voir des exemples de conflits sociaux, car tout ne se règle pas autour d’une table. On peut le regretter, mais c’est la réalité et cette réalité doit être prise en compte. C’est pourquoi je crois que l’amnistie constitue effectivement un vecteur d’apaisement social, et non une incitation au débordement. A mon sens, l’amnistie permet de distinguer ces délits spécifiques - à condition qu’ils demeurent minimes - des délits commis sans autre motivation que l’intérêt personnel ou l’intention de transgression gratuite.
Depuis maintenant un an, le dialogue social et la concertation, sont les moyens privilégiés par le gouvernement pour conduire les réformes, conformément à l’engagement de François Hollande pendant la campagne présidentielle. Cette orientation sociale nouvelle clôt la période brutale du précédent quinquennat, où les corps intermédiaires étaient ignorés, quand ils n’étaient pas insultés, où les plans de licenciement se sont succédés. Le projet de loi d’amnistie s’inscrit pleinement dans cette démarche consistant à refermer ce que l’on peut considérer comme une parenthèse, et correspond à l’esprit de dialogue désormais recherché. Amnistier les délits commis au cours de cette période, participerait de cette nouvelle ère du dialogue social.
Ensuite, le texte voté par les sénateurs a été largement amendé et son périmètre redéfini. Ainsi, les faits concernés sont ceux commis entre le 1er janvier 2007 et le 1er février 2013, et certaines enquêtes estiment à une centaine le nombre de cas concernés. Par ailleurs, l’amnistie ne concerne que les peines d’emprisonnement d’un maximum de cinq ans, pour des infractions commises exclusivement lors de conflits du travail, de mouvements collectifs revendicatifs et de mouvements liés au logement ; autrement dit, des mouvements en faveur de revendications de droits. De fait, seule une quinzaine de délits est donc visée. Concrètement, l’amnistie ne concernerait que les condamnations pour dégradation de bien et diffamation. Ainsi, les violences faites aux personnes, les agressions à l’encontre des forces de l’ordre ne seraient pas amnistiés, ni le fauchage d’OGM, ni les séquestrations, souvent mises en avant par organisations patronales pour critiquer ce projet de loi.
Mais, là encore, il convient de préciser les choses : une condamnation telle que la « dégradation de biens » peut recouvrir une acception très large ; ainsi des manifestants ont-ils été condamnés pour avoir mis des autocollants sur des édifices publics. En 2010, lors de la réforme des retraites, un manifestant avait été condamné à 6 mois de prison avec sursis pour avoir ramassé et lancé une douille vide. Ces actes ne correspondent pas à l’idée qu’on se fait des délits invoqués pour leurs condamnations. Par conséquent, la loi d’amnistie n’est pas un texte laxiste. Elle permet de revenir sur la disproportion qui existe parfois entre les faits incriminés et la sanction retenue. Son examen aurait également pu être l’occasion de réfléchir collectivement sur l’état des relations au travail dans notre pays.
Enfin, l’amnistie n’est pas une absence de sanction ni une impunité, sauf à considérer qu’il n’y a justice que dans les cas où une condamnation est prononcée et une peine exécutée. Les peines ont été prononcées, leur effet moral et psychologique s’est produit sur les manifestants. A cet égard, l’amnistie ne consiste pas à revenir sur la chose jugée ni à prétendre que la décision de justice ne s’est pas produite. La justice ne se résume pas à la simple application de lois et règles en vigueur.
Lorsque la représentation nationale se propose d’amnistier certaines infractions commises sur une période donnée, elle ne remet pas en cause le travail des juges. Leur mission est bien de rendre la justice en se fondant sur le texte de la loi. Ce n’est pas aux juges d’évaluer le climat politique des affaires qu’ils ont à juger. Il appartient en revanche au Parlement de faire usage de ses prérogatives pour donner une lecture politique de certains faits en les replaçant dans leur contexte.
Je n’ai pu être présente dans l’hémicycle au moment du vote mais je suis solidaire de la décision du groupe PS du renvoi en commission, le texte pouvant justifier encore des discussions. Néanmoins, je suis favorable à ce qu’une amnistie soit votée.
Imprimer l'article | Cette entrée a été postée par Barbara Romagnan le 16 mai 2013 à 15 h 20, et placée dans Affaires sociales. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via RSS 2.0 Les commentaires et les pings sont fermés pour l'instant |
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about 2 years ago
Si je peux comprendre la plus grande partie de l’argumentation présentée, une formulation me semble complètement erronée : « En effet, les manifestants et syndicalistes condamnés l’ont été dans le cadre de revendications … » C’est évidemment faux : la justice n’a pas pris position sur des revendications mais sur des actes délictueux qui ont été commis. Pour ma part, je trouve choquant le principe d’une amnistie, comme l’a exprimé le Président lors de sa conférence de presse, même si je peux comprendre l’idée d’une dispense de peine, dans un cadre défini avec précision.
about 2 years ago
Pouvoir amnistier les faits portant sur les seuls biens meubles (sauf les biens publics - le bien public) meubles considérés isolément et cela en relation avec leur utilité réelle (maison notamment) et rien de ceux concernant les personnes serait à mon avis une bonne approche de la question. Cela reviendrait à créer une catégorie de faits amnistiables en certaines circonstances exceptionnelles non en fonction de la personnalité de leurs auteurs mais en fonction de ce qu’il faudra bien se résoudre à considérer un jour comme un élément fondamental de la démocratie : le droit à la désobéissance civile. Car je pense qu’au fond, le vrai sujet serait là, en fait, sujet sur lequel j’estime que l’amnistie présente l’énorme avantage de jeter le voile ce qui nous renvoie inévitablement à la question -la gestion ?- du pouvoir. C’est naturellement cette même pudeur qui selon moi nous oblige aujourd’hui à « catégoriser » la majorité des problèmes, -celui des faits amnistiables comme tant d’autres- faute de capacité de nos sociétés à pouvoir les aborder de front, dans leur ensemble. Mais il faut un début à tout et même des petits pas peuvent finir par amener loin si l’on sait ou l’on va. Amitiés.