Transport routierLes scènes de colère et de désespoir qui défilent ce week-end ne sont pas anodines, elles révèlent une crise plus profonde d’un modèle français plus agroalimentaire qu’agricole. La même crise qui se donne régulièrement à voir au fil de l’aberrante répartition des aides de la Politique agricole commune (PAC) et la course aux plus grosses exploitations au détriment des plus petites. Comme si le scandale de la viande de cheval ne suffisait pas, la colère des agriculteurs bretons paraît être pour certains une nouveauté. Pourtant, l’éco-taxe poids lourds qui rentrera en vigueur en janvier 2014 et semble cristalliser la colère, n’est ni le fossoyeur, ni la solution miracle, de ce modèle à bout de souffle, simplement une mesure de fiscalité écologique qui n’arrive peut-être pas au meilleur moment.

L’écotaxe vise à faire payer l’usage des routes, en dégageant des recettes pour financer les infrastructures de transport, et, à terme en incitant à modifier les comportements. Le but est donc clair, celui de réduire les émissions de gaz à effet de serre du transport routier, mais également celui de relocaliser des productions agricoles elles-aussi soumises au libre-échange, à la baisse des coûts, au moins-disant social et environnemental, au dogme de la quantité au détriment de la qualité.

Ils ont raison d’être en colère, car de ce modèle agroalimentaire que d’autres appelleront « malbouffe », les victimes sont encore une fois les mêmes. D’un côté les petits exploitants agricoles, déjà étouffés par les marges de la grande distribution, de l’autre, des consommateurs, et pas n’importe lesquels. Ce sont encore une fois celles et ceux qui ne peuvent se permettre de regarder l’origine du produit ou sa composition avant son prix. Celles et ceux une fois encore qui sont les plus exposés aux maladies cardio-vasculaires, au diabète, aux aliments trop gras, trop salés, trop sucrés. Alors, que l’on ne me dise pas que l’écologie est une préoccupation de riches.

Rétablir quelques contre-vérités

Mme Pécresse, M. Copé ont beau jeu de critiquer un dispositif qu’ils ont eux-mêmes mis en place suite au Grenelle de l’environnement, et dont la mauvaise gestion n’avait fait jusque-là que retarder la mise en place, tout cela relève pourtant d’une hypocrisie sans nom.

Cette mesure est plutôt saine, et contrairement à ce qui certains laissaient entendre, elle ne pénalisera pas l’agriculture française. S’appliquant équitablement aux véhicules français, comme aux véhicules étrangers, elle n’introduit pas de concurrence déloyale. Conscient des difficultés que traverse la filière agricole française, notamment laitière, le Gouvernement en a épargné les véhicules agricoles et de collecte de lait. En pratique, pour certaines marchandises avec peu de transport et des circuits courts, l’impact serait de 0.1%. 1 kg de tomates produit en Aquitaine vendu en Rhône Alpes verra par exemple son prix augmenter de 0,01€ selon le ministère des Transports.

A bien regarder la carte de France, pour l’instant, seule une partie du réseau routier français est concerné par l’écotaxe. Les autoroutes concédées à des exploitants privés et déjà soumises aux péages n’y sont pas plus soumises. Ce système permettrait donc simplement de rééquilibrer des coûts pour les routes nationales et départementales publiques qui continuent à recueillir le surplus du transport routier sans pour autant voir affluer les confortables recettes qu’en tirent les concessionnaires autoroutiers.

Une crise plus large du modèle agroalimentaire

Carte des tronçons soumis à l'écotaxe

Carte des tronçons soumis à l'écotaxe

Alors tenons bon, ce n’est pas sur cette mesure qu’il s’agit de plier, mais regardons plutôt les problèmes en face pour mieux y remédier. Le contexte est explicite, celui de l’annonce en plusieurs temps de plusieurs milliers d’emplois dans le secteur agroalimentaire breton depuis plus d’un an.

Les questions posées sont donc celles d’un positionnement de l’agriculture bretonne sur des produits à la découpe, bas de gamme, méprisant les producteurs, les enfermant dans le cercle vicieux des aides de la PAC. Depuis trop longtemps la course au quantitatif mène dans le mur, alors que la PAC, jusqu’à présent, ne sert pas les territoires et l’emploi.

Les marges de la grande distribution, la concurrence déloyale due à l’absence de toute barrière douanière aux frontières de l’Union européenne constituent les vrais problèmes auxquels nous devons nous atteler. Et c’est là l’intérêt de l’éco-taxe, celui de rétablir enfin des prix loyaux, honnêtes, dans un marché qui ne l’est plus, pour qu’à terme, un produit importé à grands frais de carbone et de pesticides soit finalement plus cher qu’un produit agricole local. L’intérêt que pose également notre proposition d’un protectionnisme européen qui redonne enfin sens au tarif extérieur commun. L’intérêt enfin de la contribution climat-énergie qui n’a pas encore pris son envol. Voilà la vraie valeur des productions, voilà le respect que l’on doit aux producteurs.