Archives pour février, 2016
Variations autour du conflit
23/02/16
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Cette semaine, j’ai entendu le sociologue Michel Wieviorka défendre la nécessité du conflit. Cette idée m’a beaucoup intéressée, notamment parce qu’elle va à l’encontre de ce que je pense spontanément. J’ai plutôt tendance à penser qu’il faut s’efforcer de limiter les conflits, pas pour taire ou ignorer leur objet, mais parce que je les crois liés à la violence dans le sens où ils la précéderaient, l’annonceraient. À écouter Michel Wieviorka, loin d’aller de pair, violence et conflit, relèveraient au contraire de logiques distinctes voire contraires. Autrement dit, il semble que le conflit peut aider à éviter la violence.
Le conflit, au sens que lui donne le sociologue, est un rapport entre deux personnes, ou deux groupes, qui s’opposent, avec chacun pour objectif de renforcer sa position dans la relation, et non d’anéantir l’autre et donc la relation. Le conflit signifie qu’il y a une relation, une relation conflictuelle certes, mais une relation qui vaut mieux que pas de relation du tout car cela pourrait se transformer ensuite en violence.
Personnellement ce propos interroge également mon rapport à la question de l’intégration. Je crois préférable d’encourager les associations sportives, de soutien scolaire, de sorties familiales, pour tous, où enfants et adultes se mélangent avec leurs origines et leurs cultures forcément différentes. Je préfère ces associations-là plutôt que celles, qui organisent aussi toutes ces activités, mais de façon communautaire en référence à une origine géographique ou une appartenance religieuse.
Mais peut-être devrait-on mieux accepter, voire encourager ce type d’associations. Même si elles heurtent notre vision de ce que devrait-être la société française. A la fois parce qu’il me paraît sain de connaître ses racines, ses origines. Cela est nécessaire à la construction de l’identité de chacun, c’est aussi une façon d’entretenir notre patrimoine culturel commun. Aussi parce que, même quand ces associations expriment un défaut d’intégration à la société française, voire une absence de volonté de le faire, même quand elles encouragent l’entre soi, une contre-culture allant à l’encontre de certaines valeurs, sans doute est-il préférable que cela soit exprimé, transformé en un conflit institutionnalisé, plutôt que cela soit tu, ne serait-ce que pour se donner une possibilité d’y répondre.
Barbara ROMAGNAN
Chronique publiée dans L’Humanité du 22 février 2016
Notre primaire : réécoutez la conférence-débat de Besançon avec Michel Wieviorka
17/02/16
Ce jeudi 11 février 2016 au Kursaal de Besançon, le collectif local de l’Appel pour une primaire des gauches et des écologistes organisait la première conférence-débat décentralisée, en présence de Michel Wieviorka, sociologue et co-initiateur de l’appel national.
Devant près de 400 personnes, nous avons pu réfléchir ensemble autour des moyens de retrouver le goût de l’avenir, notamment à travers l’engagement citoyen et populaire que doit représenter l’organisation de cette primaire que nous appelons de nos vœux.
Agressions sexuelles à Cologne : on ne renforcera pas les droits des femmes par la xénophobie
16/02/16
Le 31 décembre au soir, la place de la Cathédrale de Cologne a été le théâtre de scènes d’une grande violence, dont la majorité des victimes étaient des femmes. Les centaines de plaintes déposées et les témoignages des victimes ont montré que ces femmes avaient été encerclées par plusieurs hommes désignés comme étant d’origine étrangère, harcelées sexuellement, et violées dans certains cas. Difficile de ne pas être interpelé par l’ampleur et le caractère massif de ces actes.
La volonté de dissimulation initiale pose problème parce que l’on cache des violences faites aux femmes, et si la volonté était de ne pas favoriser de discours xénophobes, c’est l’effet inverse qui a été obtenu. Le ministre social-démocrate de la justice Heiko Maas a expliqué que selon les statistiques allemandes, les ressortissants allemands se rendaient coupables de délits dans les mêmes proportions que les réfugiés.
Face aux discours qui affirment que l’origine ethnique jouerait un rôle dans la délinquance, il faut rappeler que les statistiques ethniques sont interdites en France, et qu’il n’y a donc pas d’études permettant d’étayer de tels propos. Mais les statistiques portant sur les étrangers, qui elles sont autorisées et existent, ne permettent pas d’établir une prédominance des étrangers dans les faits de délinquance, quels qu’ils soient.
« Il faut du débat et du conflit ! » : interview de Michel Wieviorka
15/02/16
Le sociologue Michel Wieviorka, qui tenait une conférence jeudi 11 février au Kursaal de Besançon dans le cadre de « Notre primaire, a donné une interview à L’Est républicain.
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Le thème de votre conférence bisontine est ambitieux : « Comment retrouver le goût de l’avenir ? ». Quelle est la réponse ?
Il faut d’abord parler du dégoût que nous pouvons avoir du présent à bien des égards. Retrouver le goût de l’avenir, c’est donc s’éloigner du présent, en essayant de ne pas voir seulement ce qui va mal, la crise sous ses différents angles, mais aussi les conditions de l’alternative. Le plus urgent, c’est de recréer du débat et du conflit. Le débat, car il y a une énorme demande de réflexion collective. C’est pour cette raison que j’ai lancé l’appel à une primaire de toutes les gauches et des écologistes. Il faut cesser de penser que le débat se fait de haut en bas, à partir du sommet, que c’est au Président et au Premier ministre de dire ce sur quoi il faut échanger, comment et quand il faut y réfléchir…
Quand Manuel Valls, par exemple, évoque de « faux débats » ou juge que vouloir expliquer le djihadisme, c’est « l’excuser » ?
Oui, il y a une énorme arrogance du pouvoir qui nous dicte ce dont il faut parler et ce dont il ne faut pas parler, ce qu’il faut expliquer et ce qu’il ne faut pas expliquer. Les gens ont le sentiment que ce pouvoir ne répond pas aux problèmes de la société et qu’en plus, il dit tout et le contraire de tout, sans gêne ni vision. Les citoyens se sentent ballottés au gré des circonstances, au coup par coup. Il faut que ceux qui participent au débat soient égaux et pas que certains soient écrasés par la parole des autres.
Xénophobie et ignorance
15/02/16
Dans la nuit du 10 au 11 février, sept hommes ont agressé des réfugiés à Dunkerque à l’aide de barres de fer et de bâtons électriques. Un peu partout, ces agressions se multiplient, sans pour autant qu’elles soient répertoriées car les migrants n’osent pas se tourner vers la justice de peur d’attirer l’attention sur eux. Cette violence et cette xénophobie sont extrêmement préoccupantes et ne sont pas propre à la France. Il est d’autant plus important de trouver les moyens de lutter contre cette xénophobie que l’afflux de migrants va se poursuivre.
En effet, en 2015, plus d’un million de personnes a pris le chemin de l’Europe. En 2016, les arrivées vont se poursuivre à un rythme comparable, notamment parce que rien ne laisse présager une amélioration de la situation en Syrie à moyen terme.
Début 2014, un think tank américain, le GMFUS, a demandé aux habitants des deux côtés de l’Atlantique s’ils jugeaient qu’il y avait trop d’immigrés dans leur pays. Comme on pouvait s’y attendre, entre un tiers et la moitié des sondés répondent par l’affirmative. La même question a ensuite été posée à d’autres sondés préalablement informés du nombre d’immigrés. Dans ce groupe, la proportion de personnes pensant qu’il y a trop d’immigrés a diminué de moitié. À la même période, les Suisses étaient amenés à se prononcer par voie de référendum, sur la limitation de l’immigration dans leur pays. Le résultat est également édifiant. À deux exceptions près, les cantons où la proportion d’étrangers est supérieure à la moyenne (Genève et Zurich), ont voté contre la limitation de l’immigration et les cantons comptant moins d’étrangers que la moyenne nationale ont voté contre.
Il semble donc que beaucoup des sentiments hostiles aux migrants trouvent racine dans la méconnaissance du phénomène et dans le défaut d’expérience relationnelle avec des immigrés. Cette distorsion est inquiétante parce qu’elle nourrit le racisme et la xénophobie, mais aussi parce que les politiques publiques en matière d’immigration semblent se fonder davantage sur les sondages d’opinions que sur les travaux scientifiques. Néanmoins, on peut aussi y voir une perspective encourageante. En effet, on peut penser qu’une meilleure connaissance de la réalité à la fois de façon rationnelle et de façon sensible (côtoyer les gens eux-mêmes) permettra une meilleure acceptation des personnes venues d’ailleurs.
Barbara ROMAGNAN
Chronique publiée dans L’Humanité du 15 février 2016
Mediapart / 6 heures pour nos libertés, à Grenoble : mon intervention
9/02/16
Ce dimanche 7 février, de 16 heures à 22 heures à Grenoble, des dizaines d’associations, de collectifs et de syndicats se sont mobilisés aux côtés de Mediapart pour débattre sur l’état d’urgence et le projet d’extension de la déchéance de nationalité.
Je suis intervenue avec d’autres députés ayant voté contre la prolongation de l’état d’urgence. Voici la vidéo de mon intervention :
La cohésion de notre société est essentielle
8/02/16
La proposition de réforme de la Constitution actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, vise à outiller la France face à la menace terroriste. C’est bien le rôle des responsables politiques que de chercher les moyens de nous en protéger. Mais, que l’on approuve ou pas ces propositions, aucune mesure nationale ne saurait prétendre conjurer cette menace qui est mondiale et qui va vraisemblablement perdurer. Face à cela la cohésion de notre société est essentielle. Il nous faut donc la favoriser plus que jamais. Mais, ce projet de texte ne me semble pas y contribuer. En effet, en n’ayant que des réponses sécuritaires et pénales, que de surcroît on prétend mettre dans notre Constitution, on ne crée pas de cohésion ; en catégorisant les Français selon qu’ils bénéficient ou non d’une autre nationalité, on divise la communauté nationale.
Il me semble au contraire qu’il est nécessaire de prendre soin de nous, de la communauté de vie que nous constituons sur le sol français. Si, à court terme, le durcissement de mesures pénales peuvent être nécessaires pourquoi ne pas prendre des initiatives renforçant l’unité dans notre pays ? Lutter contre les discriminations, mettre en place des récépissés pour en finir avec le contrôle au faciès, octroyer le droit de vote aux étrangers, comme le candidat Hollande s’y était engagé, sont des propositions de nature à nous rassembler. Veillons également à prendre soin des gens qui composent notre communauté.
Les premières auxquelles on pense sont bien sur les victimes des attentats, leurs familles. Peut-être est-il nécessaire d’interroger de revoir notre politique d’aide à leur endroit, car nous n’étions pas préparé à un tel choc, qui très malheureusement, risque de se produire à nouveau. Je pense également aux victimes dites co-latérales. Les habitants de l’immeuble de Saint-Denis où étaient cachés les terroristes ont également été bouleversés et nombres entre eux n’ont pas encore été relogés.
Enfin, il faut aussi penser à ceux qui sont les victimes, de fait, de l’état d’urgence, ceux dont les logements ont été perquisitionnés dans la violence et pour la grande majorité d’entre eux sans qu’on ait quoi que ce soit à leur reprocher, qui ont vu leur logement parfois très endommagé, ont vécu l’humiliation, le traumatisme de leurs enfants et maintenant le soupçon de leurs voisins. Ce sont d’abord les habitants des quartiers populaires, les populations immigrées, musulmanes ou considérées comme telles qui sont perquisitionnées. Veillons à ne pas nourrir le sentiment d’injustice déjà éprouvé qui peut générer un ressentiment dont nous aurions tous à pâtir.
Barbara ROMAGNAN
Chronique publiée dans L’Humanité du 8 février 2016
Conférence de Michel Wieviorka : Comment peut-on retrouver le goût de l’avenir ?
3/02/16
Aujourd’hui nos concitoyens semblent démoralisés. Ils éprouvent un sentiment de « lassitude », ne font plus confiance aux institutions, aux grands médias et aux acteurs politiques pour répondre aux défis majeurs de notre pays : la réduction des inégalités, l’emploi, la lutte contre le dérèglement climatique…
Faute de propositions, de perspectives claires et de résultats tangibles, ils sont nombreux à s’abstenir aux élections ou à se tourner vers le Front national. La tentation de repli sur soi et la fermeture à l’autre s’installent dans notre pays, avec le sentiment qu’il n’y a plus d’action possible.
Dans ce contexte de désarroi, le seul grand défi mis en avant par le pouvoir actuel est « la guerre contre le terrorisme » et la seule perspective de changement avancée est l’élection présidentielle de 2017.
Qui peut croire que cela constitue un horizon suffisant, un projet collectif susceptible de rassembler les citoyens, leur redonner le goût de vivre ensemble et de se projeter vers l’avenir ? Comment peut-on redonner confiance en la démocratie et sens à la politique ?
Comment peut-on retrouver le goût de l’avenir ?
Dans son dernier ouvrage « Retour au sens » (1), le sociologue Michel Wieviorka (2), directeur d’études à l’EHESS (école des hautes études en sciences sociales) et de la fondation « Maison des sciences de l’Homme », nous aide à répondre à ces interrogations. Il rappelle qu’il n’y a pas de fatalité et que « l’histoire est ce qu’en font les hommes ». Loin de « gémir sur le déclin et la trahison des clercs » le sociologue nous propose de « lutter contre le mal qui ronge notre époque : le manque ou la perte de sens ». Il nous invite pour cela à « comprendre les changements en cours et penser les mouvements qui constituent le sel de la terre » en s’appuyant sur les travaux sociologiques les plus récents.
Par ailleurs, Michel Wieviorka est, avec d’autres personnalités, à l’origine du Manifeste pour la primaire des gauches et des écologistes, que j’ai moi-même signé, qui vise à redonner sens à la politique en permettant à tous les citoyens de gauche et écologistes d’être partie prenante de l’avenir.
(1) « Retour au sens. Pour en finir avec le déclinisme » – Robert Laffont 2015
(2) Michel WIEVIORKA a publié de très nombreux ouvrages dont « Neuf leçons de sociologie » (2008) et « Pour la prochaine gauche » (2011)
Ciné citoyen : Les roms, ces indésirables ? - Lundi 8 février à 19h au Kursaal
2/02/16
LUNDI 8 FÉVRIER 2016 - 19h00
AU KURSAAL
TARIF DE 2,50 À 5 €
AFERIM!
RADU JUDE - 1H48, ROUMANIE, 2015
SUIVI D’UN DÉBAT AVEC GRÉGOIRE COUSIN, CHARGÉ DE RECHERCHE, MAISON DES SCIENCES DE L’HOMME
CINÉ CITOYEN #3
Les Roms, ces indésirables ?
Les Tsiganes ou les Roms apparaissent aujourd’hui comme des indésirables en Europe. Ils suscitent la crainte et sont victimes d’idées reçues tenaces sur leur mode de vie et leur volonté supposée de ne pas s’intégrer aux sociétés européennes. Pour essayer de comprendre les racines de cette exclusion, l’association Temps communs de Besançon organise un ciné-débat avec le film Aferim! et invite Grégoire Cousin, engagé dans le programme européen d’études sur les migrations roumaines roms européennes.
Les 2 scènes, en partenariat avec l’Association Espoir et Fraternité Tsigane de Franche-Comté et avec le soutien de Barbara Romagnan, députée du Doubs.
Se confronter à la réalité
1/02/16
La nécessité de « se confronter à la réalité » a été rappelée par le premier ministre, à l’occasion du départ de Christiane Taubira. Comment ne pas souscrire à cette exigence quand on veut transformer la société ? Sans doute faisait-il référence ici à la terrible réalité des attentats, ceux qui ont eu lieu en France et dans le reste du monde, et malheureusement ceux qui risquent encore de se produire. On peut tous être conscients de cela, sans pour autant approuver les mêmes réponses. Cette antienne est régulièrement reprise à propos des questions économiques et d’emploi.
En la matière, la dure réalité, c’est que le chômage ne cesse d’augmenter. Les baisses massives de cotisations sociales n’ont pas eu d’effet tangible sur les créations d’emplois, en même temps que le coût pour les finances publiques ne cesse de s’accroître (plus de 20 milliards en 2015). Le pragmatisme économique pourrait conduire au constat que la stratégie défendue depuis 2013 ne porte pas ses fruits et qu’il faudrait envisager d’en changer. D’une part, en faisant en sorte que l’État ait un droit de regard sur la façon dont ces baisses de cotisations sont utilisées. D’autre part, en affectant une partie des moyens au soutien à la demande, parce que nombre de nos concitoyens ont des besoins essentiels non satisfaits, également parce que les entreprises ont besoin de commandes, que les gens consomment, qu’ils en aient les moyens. Se confronter au réel, être pragmatique, c’est également intégrer une donnée majeure dans nos réflexions et actions : les ressources naturelles dans lesquelles nous avons pioché sans retenue sont limitées et nous ne pouvons tout attendre de la croissance pour résoudre nos problèmes en matière de chômage.
En effet, du fait de l’augmentation de la productivité, il peut y avoir de la croissance sans que le chômage diminue. Surtout, la croissance peut ne pas revenir.
Rappelons que, même dans les vingt années qui ont précédé la crise de 2008, la croissance moyenne de la France, comme celle de la zone euro, n’a pas dépassé 1,6 %, soit ce qui permet juste le remplacement des emplois détruits. Mais ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle, car la croissance telle qu’elle est créée aujourd’hui génère des dégâts environnementaux qui mettent la Terre, et donc notre vie sur Terre, en danger.
C’est également l’occasion d’engager l’indispensable reconversion écologique de notre société qui permettra de créer de nombreux emplois, de changer les conditions du travail, et de le partager de façon plus juste.
Barbara ROMAGNAN
Chronique publiée dans L’Humanité le 1er février 2016