Archives pour février, 2016

Variations autour du conflit

Cette semaine, j’ai entendu le sociologue Michel Wieviorka défendre la nécessité du conflit. Cette idée m’a beaucoup intéressée, notamment parce qu’elle va à l’encontre de ce que je pense spontanément. J’ai plutôt tendance à penser qu’il faut s’efforcer de limiter les conflits, pas pour  taire ou ignorer leur objet, mais parce que je les crois liés à la violence dans le sens où ils la précéderaient, l’annonceraient. À écouter Michel Wieviorka, loin d’aller de pair, violence et conflit, relèveraient au contraire de logiques distinctes voire contraires. Autrement dit, il semble que le conflit peut aider à éviter la violence.

Le conflit, au sens que lui donne le sociologue, est un rapport entre deux personnes, ou deux groupes, qui s’opposent, avec chacun pour objectif de renforcer sa position dans la relation, et non d’anéantir l’autre et donc la relation. Le conflit signifie qu’il y a une relation, une relation conflictuelle certes, mais une relation qui vaut mieux que pas de relation du tout car cela pourrait se transformer ensuite en violence.

Personnellement ce propos interroge également mon rapport à la question de l’intégration. Je crois préférable d’encourager les associations sportives, de soutien scolaire, de sorties familiales,  pour tous, où enfants et adultes se mélangent avec leurs origines et leurs cultures forcément différentes. Je préfère ces associations-là plutôt que celles, qui organisent aussi toutes ces activités, mais de façon communautaire en référence à une origine géographique ou une appartenance religieuse.

Mais peut-être devrait-on mieux accepter, voire encourager ce type d’associations. Même si elles heurtent notre vision de ce que devrait-être la société française. A la fois parce qu’il me paraît sain de connaître ses racines, ses origines. Cela est nécessaire à la construction de l’identité de chacun, c’est aussi une façon d’entretenir notre patrimoine culturel commun. Aussi parce que, même quand ces associations expriment un défaut d’intégration à la société française, voire une absence de volonté de le faire, même quand elles encouragent l’entre soi, une contre-culture allant à l’encontre de certaines valeurs, sans doute est-il préférable que cela soit exprimé, transformé en un conflit institutionnalisé, plutôt que cela soit tu, ne serait-ce que pour se donner une possibilité d’y répondre.

Barbara ROMAGNAN

Chronique publiée dans L’Humanité du 22 février 2016

Xénophobie et ignorance

Dans la nuit du 10 au 11 février, sept hommes ont agressé des réfugiés à Dunkerque à l’aide de barres de fer et de bâtons électriques. Un peu partout, ces agressions se multiplient, sans pour autant qu’elles soient répertoriées car les migrants n’osent pas se tourner vers la justice de peur d’attirer l’attention sur eux. Cette violence et cette xénophobie sont extrêmement préoccupantes et ne sont pas propre à la France. Il est d’autant plus important de trouver les moyens de lutter contre cette xénophobie que l’afflux de migrants va se poursuivre.

En effet, en 2015, plus d’un million de personnes a pris le chemin de l’Europe. En 2016, les arrivées vont se poursuivre à un rythme comparable, notamment parce que rien ne laisse présager une amélioration de la situation en Syrie à moyen terme.

Début 2014, un think tank américain, le GMFUS, a demandé aux habitants des deux côtés de l’Atlantique s’ils jugeaient qu’il y avait trop d’immigrés dans leur pays. Comme on pouvait s’y attendre, entre un tiers et la moitié des sondés répondent par l’affirmative. La même question a ensuite été posée à d’autres sondés préalablement informés du nombre d’immigrés. Dans ce groupe, la proportion de personnes pensant qu’il y a trop d’immigrés a diminué de moitié. À la même période, les Suisses étaient amenés à se prononcer par voie de référendum, sur la limitation de l’immigration dans leur pays. Le résultat est également édifiant. À deux exceptions près, les cantons où la proportion d’étrangers est supérieure à la moyenne (Genève et Zurich), ont voté contre la limitation de l’immigration et les cantons comptant moins d’étrangers que la moyenne nationale ont voté contre.

Il semble donc que beaucoup des sentiments hostiles aux migrants trouvent racine dans la méconnaissance du phénomène et dans le défaut d’expérience relationnelle avec des immigrés. Cette distorsion est inquiétante parce qu’elle nourrit le racisme et la xénophobie, mais aussi parce que les politiques publiques en matière d’immigration semblent se fonder davantage sur les sondages d’opinions que sur les travaux scientifiques. Néanmoins, on peut aussi y voir une perspective encourageante. En effet, on peut penser qu’une meilleure connaissance de la réalité à la fois de façon rationnelle et de façon sensible (côtoyer les gens eux-mêmes) permettra une meilleure acceptation des personnes venues d’ailleurs.

Barbara ROMAGNAN

Chronique publiée dans L’Humanité du 15 février 2016

La cohésion de notre société est essentielle

La proposition de réforme de la Constitution actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, vise à outiller la France face à la menace terroriste. C’est bien le rôle des responsables politiques que de chercher les moyens de nous en protéger. Mais, que l’on approuve ou pas ces propositions, aucune mesure nationale ne saurait prétendre conjurer cette menace qui est mondiale et qui va vraisemblablement perdurer. Face à cela la cohésion de notre société est essentielle. Il nous faut donc la favoriser plus que jamais. Mais, ce projet de texte ne me semble pas y contribuer. En effet, en n’ayant que des réponses sécuritaires et pénales, que de surcroît on prétend mettre dans notre Constitution, on ne crée pas de cohésion ; en catégorisant les Français selon qu’ils bénéficient ou non d’une autre nationalité, on divise la communauté nationale.

Il me semble au contraire qu’il est nécessaire de prendre soin de nous, de la communauté de vie que nous constituons sur le sol français. Si, à court terme, le durcissement de mesures pénales peuvent être nécessaires pourquoi ne pas prendre des initiatives renforçant l’unité dans notre pays ? Lutter contre les discriminations, mettre en place des récépissés pour en finir avec le contrôle au faciès, octroyer le droit de vote aux étrangers, comme le candidat Hollande s’y était engagé, sont des propositions de nature à nous rassembler. Veillons également à prendre soin des  gens qui composent notre communauté.

Les premières auxquelles on pense sont bien sur les victimes des attentats, leurs familles. Peut-être est-il nécessaire d’interroger de revoir notre politique d’aide à leur endroit, car nous n’étions pas préparé à un tel choc, qui très malheureusement, risque de se produire à nouveau. Je pense également aux victimes dites co-latérales. Les habitants de l’immeuble de Saint-Denis où étaient cachés les terroristes ont également été bouleversés et nombres entre eux n’ont pas encore été relogés.

Enfin, il faut aussi penser à ceux qui sont les victimes, de fait, de l’état d’urgence, ceux dont les logements ont été perquisitionnés dans la violence et pour la grande majorité d’entre eux sans qu’on ait quoi que ce soit à leur reprocher, qui ont vu leur logement parfois très endommagé, ont vécu l’humiliation, le traumatisme de leurs enfants et maintenant le soupçon de leurs voisins. Ce sont d’abord les habitants des quartiers populaires, les populations immigrées, musulmanes ou considérées comme telles qui sont perquisitionnées. Veillons à ne pas nourrir le sentiment d’injustice déjà éprouvé qui peut générer un ressentiment dont nous aurions tous à pâtir.

Barbara ROMAGNAN

Chronique publiée dans L’Humanité du 8 février 2016

Ciné citoyen : Les roms, ces indésirables ? - Lundi 8 février à 19h au Kursaal

LUNDI 8 FÉVRIER 2016 - 19h00
AU KURSAAL
TARIF DE 2,50 À 5 €

AFERIM!
RADU JUDE - 1H48, ROUMANIE, 2015

SUIVI D’UN DÉBAT AVEC GRÉGOIRE COUSIN, CHARGÉ DE RECHERCHE, MAISON DES SCIENCES DE L’HOMME

CINÉ CITOYEN #3
Les Roms, ces indésirables ?

Les Tsiganes ou les Roms apparaissent aujourd’hui comme des indésirables en Europe. Ils suscitent la crainte et sont victimes d’idées reçues tenaces sur leur mode de vie et leur volonté supposée de ne pas s’intégrer aux sociétés européennes. Pour essayer de comprendre les racines de cette exclusion, l’association Temps communs de Besançon organise un ciné-débat avec le film Aferim! et invite Grégoire Cousin, engagé dans le programme européen d’études sur les migrations roumaines roms européennes.

Les 2 scènes, en partenariat avec l’Association Espoir et Fraternité Tsigane de Franche-Comté et avec le soutien de Barbara Romagnan, députée du Doubs.

Se confronter à la réalité

La nécessité de « se confronter à la réalité » a été rappelée par le premier ministre, à l’occasion du départ de Christiane Taubira. Comment ne pas souscrire à cette exigence quand on veut transformer la société ? Sans doute faisait-il référence ici à la terrible réalité des attentats, ceux qui ont eu lieu en France et dans le reste du monde, et malheureusement ceux qui risquent encore de se produire. On peut tous être conscients de cela, sans pour autant approuver les mêmes réponses. Cette antienne est régulièrement reprise à propos des questions économiques et d’emploi.

En la matière, la dure réalité, c’est que le chômage ne cesse d’augmenter. Les baisses massives de cotisations sociales n’ont pas eu d’effet tangible sur les créations d’emplois, en même temps que le coût pour les finances publiques ne cesse de s’accroître (plus de 20 milliards en 2015). Le pragmatisme économique pourrait conduire au constat que la stratégie défendue depuis 2013 ne porte pas ses fruits et qu’il faudrait envisager d’en changer. D’une part, en faisant en sorte que l’État ait un droit de regard sur la façon dont ces baisses de cotisations sont utilisées. D’autre part, en affectant une partie des moyens au soutien à la demande, parce que nombre de nos concitoyens ont des besoins essentiels non satisfaits, également parce que les entreprises ont besoin de commandes, que les gens consomment, qu’ils en aient les moyens. Se confronter au réel, être pragmatique, c’est également intégrer une donnée majeure dans nos réflexions et actions : les ressources naturelles dans lesquelles nous avons pioché sans retenue sont limitées et nous ne pouvons tout attendre de la croissance pour résoudre nos problèmes en matière de chômage.

En effet, du fait de l’augmentation de la productivité, il peut y avoir de la croissance sans que le chômage diminue. Surtout, la croissance peut ne pas revenir.

Rappelons que, même dans les vingt années qui ont précédé la crise de 2008, la croissance moyenne de la France, comme celle de la zone euro, n’a pas dépassé 1,6 %, soit ce qui permet juste le remplacement des emplois détruits. Mais ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle, car la croissance telle qu’elle est créée aujourd’hui génère des dégâts environnementaux qui mettent la Terre, et donc notre vie sur Terre, en danger.

C’est également l’occasion d’engager l’indispensable reconversion écologique de notre société qui permettra de créer de nombreux emplois, de changer les conditions du travail, et de le partager de façon plus juste.

Barbara ROMAGNAN

Chronique publiée dans L’Humanité le 1er février 2016