Archives pour janvier, 2016
Pourquoi une primaire ? - Tribune dans Le Drenche
26/01/16
Je signe une tribune dans Le Drenche, journal de débats en ligne. Vous pouvez la retrouver en suivant ce lien.
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Nous vivons une crise démocratique majeure.
Partout en France, l’abstention est majoritaire et très largement en tête. Quant à ceux qui continuent à se rendre aux urnes, près de 30 % d’entre eux, d’entre nous donc, choisissent le FN.
Ainsi, parmi ceux qui veulent encore prendre part à ce moment de démocratie, la majorité, relative, mais la majorité quand même, choisit l’extrême-droite. Plus encore, parmi les jeunes, qui s’abstiennent plus que la moyenne de la population, l’extrême-droite est encore plus haut.
Ceux qui restent se mobilisent très largement « contre », « contre l’extrême-droite », mais de plus en plus rarement « pour », autrement dit en faveur d’idées, d’un projet.
Ce constat n’est pas nouveau et ne cesse de s’amplifier au fil des élections comme on l’a vu ces dernières années aux élections municipales, européennes, puis départementales. À la suite de ces élections il est sans cesse affirmé que le « message » a été entendu, mais rien ne change.
De même, nous ne parvenons pas à apporter des réponses satisfaisantes aux énormes défis qui se présentent à nous. Le chômage ne cesse d’augmenter créant des situations humaines intolérables.
Malgré le succès diplomatique de la COP 21, notre planète continue à se dégrader très rapidement, rendant de plus en plus de parties du globe inhabitables.
Mais derrière cette triste réalité, il y a aussi des raisons solides d’espérer.
Partout, des intellectuels, des associations, des entrepreneurs, des citoyens, réfléchissent, innovent, inventent, changent la société, apportent des réponses.
L’objectif de la primaire que nous appelons de nos vœux est de mettre ces propositions et solutions en débat et de leur offrir ensuite, seulement ensuite, un débouché politique incarné par un candidat ou une candidate.
Rémunération et heures supplémentaires
25/01/16
Le projet de loi porté par la ministre du Travail, Myriam El Khomri, largement popularisé par Emmanuel Macron, prévoit de rendre possible la baisse de la rémunération des heures supplémentaires en dessous des 10 %. Ainsi, pendant que le chômage ne cesse d’augmenter, on encourage le recours aux heures supplémentaires qui incite à faire travailler davantage ceux qui ont un emploi et on diminue encore les possibilités de création d’emplois nouveaux. Cette proposition dévalorise également le travail de ceux et celles qui le réalisent, alors même que les salariés français sont parmi les plus productifs du monde. Cette proposition méconnaît aussi les questions de conditions de travail et de santé et de vie familiale des salariés. En effet, s’il est prévu que les heures supplémentaires soient davantage rémunérées c’est parce qu’elles sont coûteuses pour la vie des salariés.
Cette proposition est enfin incompréhensible au regard des possibilités déjà offertes. Les lois sur les 35 heures ont introduit l’annualisation qui permet de moduler le temps de travail sur l’année. Ainsi, un salarié peut faire 40 heures une semaine et 30 heures la semaine suivante sans que le patron n’ait à payer les 5 heures supplémentaires de la première semaine, puisque le temps de travail moyen est de 35 heures.
Fin(s) d’une toute-puissance
18/01/16
En ce début d’année, je recommande la lecture du dernier ouvrage de Guillaume Duval, La France ne sera jamais plus une grande puissance ? Tant mieux !
Ce livre, comme son titre provocateur le suggère, est une occasion de prendre du recul avec la déprime ambiante actuelle et aussi avec l’image d’un passé glorieux où la France était une « grande puissance ». L’auteur nous donne également de réelles raisons d’espérer en s’appuyant sur les atouts objectifs, dont dispose notre pays pour sortir de la situation dans laquelle nous nous trouvons.
On sait que les Français sont parmi les plus pessimistes au monde. S’il y a lieu d’être inquiet des plus de 5 millions de chômeurs, de la désindustrialisation, du climat de méfiance à l’égard des autres, l’auteur pense que cela vient avant tout d’un sentiment de déclin par rapport à un âge d’or fantasmé.
Ainsi, il commence par prendre acte du recul du poids de la France dans le monde et du fait que la tendance va se poursuivre. S’il ne s’en émeut pas c’est parce que cette influence était due le plus souvent à la guerre et au colonialisme, dont il n’y a pas lieu d’être fier. C’est également parce que les Français eux-mêmes n’ont pas forcément tiré de bien-être de ces périodes. Louis XIV laissa derrière lui un pays craint et admiré, mais également un peuple peinant à se nourrir tant il était pauvre. Les guerres de Napoléon ont fait entre 4 et 7 millions de morts en Europe dont 1,8 million en France. Quant à l’aventure coloniale, elle a représenté une honte pour le pays. En revanche, aujourd’hui, si notre pays connaît de sérieuses difficultés et nécessite des réformes, notre avenir collectif n’est pas forcément sombre, comme cela est trop souvent affirmé. En effet, on peut bien vivre sans s’imposer au reste du monde, comme le montre notamment l’exemple des pays scandinaves. Il pense, et argumente en ce sens, que la mondialisation sauvage pourrait être remise en cause, que la construction européenne n’est pas condamnée au dumping fiscal et social. Et il rappelle que nous bénéficions d’une démographie équilibrée, d’infrastructures et d’une protection sociale de qualité, que les salariés français restent parmi les plus productifs du monde et que nos scientifiques sont bien formés, et enfin que nos rapports privilégies avec le sud de la Méditerranée sont des atouts pour nous insérer dans le monde.
Barbara ROMAGNAN
Chronique publiée dans L’Humanité le 18 janvier 2016
Appel : Pour une primaire à gauche
11/01/16
J’ai cosigné l’appel pour un primaire à gauche, publié dans « Libération » ce 11 janvier 2016. En voici le contenu.
Notre système politique est bloqué. Chaque jour, nos institutions, inadaptées et sclérosées, s’enfoncent un peu plus dans la crise. Faute de propositions satisfaisantes, de perspectives claires et de résultats tangibles, nos concitoyens sont nombreux à s’abstenir aux élections, quand ils ne s’abandonnent pas aux promesses insensées et au discours de haine du Front national. Trop souvent, nous nous contentons de voter « contre », pour éliminer l’ »autre » candidat. Pire, nous ne votons pas, atterrés par la médiocrité de l’offre politique et son incapacité à se renouveler.
Les efforts pour contrer le FN n’ont pas enrayé sa progression. La société glisse vers le repli et la fermeture. Des pans entiers de la droite regardent vers l’extrême droite, et la confusion du reste de la droite et d’une partie croissante de la gauche est manifeste, au point de mettre en cause les valeurs humanistes et les droits humains qui fondent la République. Le projet de déchéance de la nationalité est injustifiable, et l’instrumentalisation de la Constitution à des fins tacticiennes constitue une rupture démocratique majeure. Les jeux politiques actuels ne masquent plus une réalité flagrante : aujourd’hui comme hier, les gouvernements s’arc-boutent sur des modèles destructeurs, plutôt que de lutter contre les inégalités sociales, les discriminations, la dégradation de l’environnement et l’affaissement de la démocratie.
Sans surprise, les citoyens sont en état de légitime défiance vis-à-vis de la politique. Son personnel devient synonyme de caste et d’oligarchie. Son action est perçue comme impuissante, voire comme corrompue et soumise à des intérêts corporatistes ou particuliers ; ses projets conjuguent sans cohérence le néolibéralisme du capitalisme financier, les régressions ethniques et racistes, et le recyclage nostalgique de l’étatisme des Trente Glorieuses et de l’Etat omnipotent. Dans un monde en plein bouleversement et en désordre, dans une Europe de plus en plus désunie où s’imposent les égoïsmes nationaux et s’érigent les barbelés, l’horizon se rabougrit, le débat démocratique régresse.
Nous refusons les renoncements. Nous n’acceptons pas que la menace du FN, le risque terroriste et l’état d’urgence permanent servent de prétexte pour refuser de débattre des défis auxquels notre société est confrontée. Il n’y a pas de fatalité à l’impuissance politique. La France est riche de son énergie vitale et de talents qui aspirent à forger un avenir bienveillant. Ce sont eux qui doivent s’exprimer avant mai 2017 ! D’abord un grand débat, ensuite un candidat ! Nous ne changerons pas de République d’ici 2017, et tout reste suspendu à l’élection présidentielle-reine. Cet enjeu ne devrait pas être le seul mais, puisqu’il est incontournable aujourd’hui, nous voulons qu’il soit l’objet d’une réappropriation citoyenne, de sorte que la prochaine élection présidentielle soit la conclusion d’un débat approfondi.
Nous appelons à une grande primaire des gauches et des écologistes. En mai 2017, nous élirons un président ou une présidente et, dans les semaines qui suivront, nos représentants à l’Assemblée nationale. Pour que ce moment contribue vraiment à la sortie de la crise politique et ouvre enfin de nouvelles perspectives économiques, sociales, environnementales et démocratiques, il faut qu’aient été débattus et mis en lumière des choix et des alternatives claires sur les enjeux majeurs que sont les inégalités, la crise écologique, l’éducation, les discriminations, la réforme des institutions, les libertés, la justice, la sécurité, la fiscalité, les territoires, l’Europe, la mondialisation…
Une reconnaissance symbolique importante
11/01/16
Depuis une vingtaine d’années, la prise en charge des personnes dépendantes est inscrite dans l’agenda politique de la plupart des pays de l’Union européenne. En France le débat s’est longtemps cristallisé autour de la prestation à accorder aux aidés. Cela s’entend, mais cela explique également, largement, que la question des aidants proches ait été occultée jusqu’à maintenant. La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, qui entre en vigueur en ce début d’année, prévoit à la fois la reconnaissance de l’existence des aidants et un droit au répit. Cette reconnaissance symbolique, le fait de les nommer dans la loi, à défaut de résoudre toutes les difficultés, est importante. Quant au droit au répit, il se concrétise par une aide pouvant atteindre 500 euros par an pour le financement ponctuel d’un hébergement, d’un accueil de jour ou d’un renforcement de l’aide à domicile. Il est également prévu de financer un dispositif d’urgence en cas d’hospitalisation de l’aidant – situation relativement fréquente. Cette reconnaissance symbolique et financière est d’autant plus nécessaire que le projet de loi fait le choix d’investir sur le maintien à domicile des personnes âgées, ce qui suppose une aide toujours disponible.
Or, il faut s’attendre à une baisse du nombre des aidants potentiels à l’horizon de 2040, notamment en raison de l’augmentation du taux d’activité des seniors, principalement des femmes seniors, en première ligne pour l’aide aux personnes âgées dépendantes. Encore davantage qu’aujourd’hui, il faudra une aide professionnelle pour pouvoir se substituer à l’entourage. Il faudra également que l’activité professionnelle puisse être conciliable avec une activité d’aidant. Car si les aidants ont besoin de professionnels compétents et qualifiés, ils manifestent également le souhait de garder leur indépendance, ne souhaitent pas aboutir à leur professionnalisation dans ce rôle, notamment en raison de l’âge élevé des personnes aidées. Ils veulent d’abord pouvoir bénéficier de formules de conciliation avec leur travail. Autrement dit, ils ont besoin de temps et de trouver un équilibre, entre une implication familiale et une activité professionnelle.
Ainsi, l’enjeu n’est pas uniquement d’avoir les moyens financiers de déléguer le soin de ses proches à des professionnels, fussent-ils bien formés, pendant que l’on travaille davantage, mais d’avoir les moyens temporels d’en prendre soin soi-même. Bien sûr les professionnels sont nécessaires, pas assez nombreux, pas suffisamment considérés et rémunérés, mais tout aussi certainement, il y a une partie de la relation qui ne peut être déléguée à personne, parce que ce qui fait la valeur d’une présence, d’une écoute, d’un échange, c’est sa gratuité, pas son tarif.
Barbara ROMAGNAN
Chronique publiée dans L’Humanité le 11 janvier 2016
Demain sera meilleur…
5/01/16
Sans doute y a-t-il quelque chose de vain et pathétique à attendre, à la fin de chaque année, une année meilleure que les précédentes, alors même que cette amélioration ne vient que très rarement, quand elle vient. Pourtant, je trouve cette discrète attente du mieux, qui continue à vivre chez la plupart d’entre nous, rassurante et utile.
Continuer à espérer, alors même que les raisons de désespérer sont si nombreuses et fondées, croire que demain sera meilleur alors même que l’on voit la façon dont les choses se passent, nous est essentiel.
Il ne s’agit pas de ne voir que « le bon côté des choses », de passer sous silence la douleur, la tristesse, les injustices, l’horreur. Il ne s’agit pas de s’imaginer que l’existence est harmonieuse, ni de nier la réalité, guère réjouissante. Il ne faut pas oublier les victimes connues ou anonymes des attentats, ceux de Paris, mais aussi ceux de Tunis, Bamako et Damas, tous ceux – dont la moitié d’enfants – qui sont morts en Méditerranée parce qu’ils n’avaient d’autre choix que de partir, parce qu’ils n’avaient d’autre choix que ce chemin, toutes celles et tous ceux qui sont victimes de la pauvreté, de violence en raison de leur sexe, de leurs croyances ou convictions, de leurs origines.
Il s’agit de voir la réalité d’une façon différente, d’une façon plus complète. Il s’agit de voir les choses telles qu’elles sont ou telles qu’elles nous apparaissent, mais aussi de les voir telles qu’elles pourraient/devraient devenir. Car confondre la réalité d’un moment donné avec la réalité tout entière, voir le présent comme immuable, est à la fois avoir une vision étroite de la réalité et s’empêcher d’agir. Derrière chaque réalité, il y a des potentialités à faire vivre une autre réalité, une réalité en gestation, il y a l’exigence des choses telles qu’elles devraient être, il y a l’utopie.
Certes l’utopie peut être dangereuse, quand elle fait violence à la réalité, quand elle s’impose aux autres avec brutalité, comme le font les utopies politiques totalitaires.
Mais le fait que les promesses de ces utopies n’aient pas été tenues ne doit pas les faire tourner en dérision. La justice, la solidarité, la fraternité, l’égalité ne sont pas devenues des valeurs caduques au prétexte que nombre de ceux qui les ont proclamées ont échoué à les atteindre, voire ont abouti à l’inverse de ce qu’ils prônaient.
Ces échecs doivent nous apprendre au contraire à les rechercher avec davantage de modestie, de patience, de pugnacité, tout en sachant qu’il n’y a aucune recette définitive, que le monde ne peut être sauvé une fois pour toutes.
Barbara ROMAGNAN
Chronique publiée dans L’Humanité du 4 janvier 2016