Compte rendu / Débat « Le quartier, résumé de l’état de notre société ? »
Jeudi 17 février dernier, j’ai organisé une table-ronde intitulée « le quartier : résumé de l’état de notre société ? ».
L’idée était de s’interroger sur l’ambivalence du rapport que l’on peut avoir avec le quartier, selon que l’on soit dehors ou dedans. S’agit-il d’attachement ou de stigmatisation, d’intégration ou d’exclusion, d’un refuge ou d’un ghetto ? Il ne s’agissait pas de parler spécifiquement du quartier de Planoise (que les intervenants ne connaissent pas, d’ailleurs), mais Planoise était notre point de départ pour la réflexion.
Pour nous y aider, le sociologue Didier Lapeyronnie (auteur de Le ghetto urbain : ségrégation, violence, pauvreté) et le journaliste à Libération Olivier Bertrand (qui vient de terminer un film sur les 20 ans des émeutes à Vaulx-en-Velin), ont eu la gentillesse de répondre à mon invitation. L’assistance était nombreuse (170 personnes) et attentive, composée essentiellement d’habitants du quartier mais aussi de quelques personnes venues du reste de la ville et des communes alentours.
Les intervenants ont su rendre compte de leur travail exigeant et intéresser un public très varié : des habitants de différents lieux du quartier, des professionnels concernés par le sujet, des responsables d’associations, des personnes de tout âge, des anciens du quartier depuis 40 ans, de nouveaux arrivants et même quelques élus qui avaient fait le déplacement… Les questions nombreuses qui ont suivies ont permis de saisir les manières très différentes de vivre le quartier. Nous avons poursuivis assez longuement la discussion autour d’un pot convivial.
Le texte qui suit vise à rendre compte des interventions de Didier Lapeyronnie et Olivier Bertrand, ainsi que des discussions qui leur ont fait suite.
Banlieues-ghetto : « La cage et le cocon », selon Didier Lapeyronnie
Loin des clichés, le sociologue Didier Lapeyronnie porte un regard critique et passionnant sur les ghettos qui gangrènent certaines banlieues françaises. Il s’y est immergé pour mieux en saisir les mécanismes sociaux.
A une heure où la machine politico-médiatique semble de nouveau prête à s’emballer sur le sujet des banlieues, proximité des élections et poussée du FN obligent, lui, le sociologue des ghettos (et professeur à Paris IV), pose sur ces espaces un regard sans jugement, mais également sans concession.
Didier Lapeyronnie s’est immergé quatre ans dans cet univers. En l’occurrence un ghetto d’une ville moyenne de l’ouest de la France dont il tait le nom, mais dont il affirme que la situation est au moins aussi dramatique que celle de certaines banlieues de la couronne parisienne. Son analyse, dont il tire un livre (Ghettos urbains), dépasse la question de la seule « ethnicité » et de la religion. Il a rencontré les acteurs de ce territoire. Il l’a exploré, vécu. Il le situe d’abord sociologiquement…
Premier constat : la banlieue n’est pas le ghetto. Mais le ghetto gagne les banlieues, ou certains de ses territoires. C’est un monde clos. Il conduit à l’isolement et l’enfermement des habitants, dont beaucoup ne connaissent personne à l’extérieur.
Second constat : le niveau de la violence quotidienne y est quasi inimaginable pour qui n’y vit pas. Tout ou presque est prétexte à des règlements de compte qui se soldent parfois par la mort d’un ou plusieurs protagonistes. Avec, bien sûr, tout ce que ce contexte implique pour la vie dans l’espace public.
Troisième constat : la rupture entre les sexes est consommée.
Une « contre-organisation » sociale
Didier Lapeyronnie se dit le premier surpris de cette évolution de certaines banlieues. Mais il n’hésite pas, loin des discours langue de bois et du relativisme bien-pensant, à parler d’une évolution globale. Laquelle gangrènerait une partie de ces territoires dits « défavorisés », ou plutôt livrés à eux-mêmes.
Pourtant, selon lui, le ghetto n’est pas le chaos. Ce territoire obéit à des lois qui lui sont propres. « Ce n’est pas un quartier », explique Didier Lapeyronnie, en conférence. « C’est une forme de société et d’organisation sociale ». Sa première caractéristique est de subir une impitoyable ségrégation à la fois économique et raciale. « On désigne le ghetto comme le quartier des Arabes. Et dans le ghetto, on parle de la ville des Blancs… »
Le chômage y touche – « officiellement » note Didier Lapeyronnie… – 20 à 30% de la population, laquelle est essentiellement étrangère ou d’origine étrangère. La pression policière y est énorme. Beaucoup d’habitants ont connu la prison. Le deal y est régulier. Nécessairement, ce territoire enclavé finit par s’organiser autour d’un système « politique » officieux et d’une économie souterraine : « Tout est tombé du camion. Tout le monde rigolait quand je sortais mon téléphone portable et que je disais le prix qu’il m’avait coûté ».
Le sociologue analyse cela comme une « contre-organisation ». Celle-ci permet à ses membres d’exister, d’occuper un espace social, et d’être protégés du monde extérieur. Mais dans le même temps, elle isole du reste du monde, elle pousse au repli. En cela, le ghetto est à la fois « la cage et le cocon ». Un univers rempli d’ambivalences. On a l’impression d’y « perdre sa vie », de « ne pas y respirer », mais on ne le quitte pas, faute de moyens économiques et culturels. On y développe une haine de l’extérieur, des institutions et de ses représentants (flics, profs, travailleurs sociaux…) tout en craignant maladivement qu’ils s’éloignent trop.
S’extirper du ghetto, c’est trahir
Ce monde est, selon Didier Lapeyronnie, celui de « l’interconnaissance et des liens forts ». Interconnaissance car tout le monde y connaît tout le monde et sait tout sur tout le monde : « Il n’y a que le travailleur social qui croit au secret professionnel ! » Liens forts, car les relations que l’on tisse sont de fait d’une proximité extrême, mais en même temps exclusives. On identifie chaque habitant, on connaît tous les détails de la vie de ses voisins de pallier. Mais cela ne constitue pas un réseau. A cela, Didier Lapeyronnie oppose les « liens faibles » : des relations plus distantes, mais moins exclusives. Un réseau de connaissances qui facilite notamment les choses pour trouver du travail, mais qui est inconnu au sein des cités.
Le ghetto est également le monde de la morale. Ou plutôt de ceux qui la font. Puisque l’on connaît tout le monde, on a aussi un avis sur tout le monde. On s’évalue en fonction de la fidélité à ces fameux liens forts. Et en cas de « déviance », de tentatives de sorties, le ghetto se ligue pour remettre le contrevenant à la place qui doit être la sienne. Didier Lapeyronnie cite le cas d’un élève tire-au-flanc qui décide de se mettre à travailler sérieusement, afin de s’extirper de l’univers clos. Très vite, on se charge de lui faire comprendre qu’il y a « trahison » envers le reste du groupe.
Dans ce monde, « l’embrouille » est un affront à laver en permanence… On s’affronte pour l’excitation de l’action, tout simplement pour exister. Il faut à chacun sa dose quotidienne d’embrouille. Et quand les liens internes se distendent trop, on se ressoude en allant en découdre avec la cité d’en face.
Le voile, un symbole purement sexuel
L’aspect le plus fascinant de cette analyse sociologique menée de l’intérieur reste sans doute les rapports hommes-femmes, dictés par les lois du racisme et de l’exclusion. En dehors du ghetto, la femme « passe » bien. Pour peu qu’elle soit jolie et qu’elle ait conservé un minimum de réseau à l’extérieur, elle pourra s’y faire une place. Y compris de façon purement symbolique, par exemple en étant acceptée en boîte de nuit. La « beurette » ou la « black » s’efface derrière sa féminité.
L’homme, selon Didier Lapeyronnie, ne peut se défaire de son identité menaçante. Lui est laissé à la porte des boîtes de nuit, et il aura plus de mal encore à trouver du travail. La réussite féminine potentielle est en conséquence vécue comme une humiliation. La masculinité s’en trouve blessée, est vécue comme une castration. D’où ce besoin de chasser la féminité qui échappe au racisme. Notamment en la couvrant d’un voile. Les tenants du relativisme culturel et les défenseurs du « choix » en prennent pour leur grade : dans le ghetto, le fait de se masquer le visage n’a rien de religieux, et ne tient aucunement à une identité culturelle. C’est d’abord une revanche des hommes, à caractère purement sexuel.
Cela permet, surtout, de garder « ses » femmes. Voilées, elles manifestent clairement qu’elles n’appartiendront qu’aux hommes de la cité.
Que faire ?
Didier Lapeyronnie ne propose pas de stratégie ou d’alternative (ce n’est pas son rôle) mais en réponse aux questions de la salle se dit pessimiste sur l’évolution des ghettos dans les banlieues, qui ont tendance à gagner en importance. Il note le peu de volonté des pouvoirs publics, l’absence totale de politique de la ville actuellement. La solution ? Il l’évoque à demi-mot. Puisque les femmes des ghettos sont celles qui s’en sortent le mieux, c’est à travers elles qu’il faudrait agir.
Mais surtout, il faut faire le deuil d’une société intégrée et accepter la ville actuelle telle qu’elle se présente : un archipel, des lotissements décousus que les pouvoirs publics doivent gérer. Au milieu de ce conglomérat, la banlieue et les ghettos, hélas, les concernent peu : les pauvres ne votent pas.
Banlieues-ghetto : le « cas » Vaulx-en-Velin, par Olivier Bertrand
Journaliste à Libération, Olivier Bertrand se penche sur le problème des banlieues à travers un documentaire sur Vaulx-en-Velin, une commune marquée par des émeutes urbaines en 1990.
Là où d’autres désespèrent de trouver des solutions au problème des banlieues, ce journaliste à Libération, lui, affirme que la politique de la ville a encore un avenir. Pour peu « qu’on agisse avec tous les leviers à la fois », et surtout qu’on lui consacre les moyens nécessaires. Il évoque le cas de Vaulx-en-Velin, une commune marquée par des émeutes urbaines en 1990, sur laquelle il achève actuellement un film documentaire. « L’idée, c’est de savoir comment Vaulx-en-Velin s’est reconstruite vingt ans après les émeutes, et comment les habitants se sont réappropriés la ville. »
L’affaire n’était pas mince, comme le rappelle son film. Vaulx-en-Velin a connu un destin similaire à celui de ces nombreuses banlieues qui se sont progressivement transformées en cités après leur construction dans les années 1970. Comme tant d’autres, cette ville, proche de Lyon, est bâtie d’un seul bloc, à une heure où la France a besoin de logements. « Pour beaucoup de gens, à l’époques, c’était un progrès », note Olivier Bertrand. De fait, les habitants qui s’y installent disposent d’un chauffage, d’une salle de bain, de toilettes individuelles…
Mais le journaliste évoque aussitôt les lacunes, présentes dès le départ : « Cette ville a été construite d’un coup, par des architectes qui avaient décidé comment vivraient les gens. » D’où un schéma urbain parfois peu clair, des parkings éloignés des centres commerciaux, l’absence de lieux de rencontre… Un ensemble de facteurs qui pèsent sur les rapports sociaux et empêchent les habitants de « vivre leur ville » comme aiment à le répéter certains politiques actuellement.
« Blessures identitaires »
Conséquence directe : Vaulx-en-Velin se vide progressivement de sa classe moyenne. Ceux qui ont les moyens préfèrent aller acheter ailleurs. A ce contexte s’ajoute, selon Olivier Bertrand, des « blessures identitaires » chez une population immigrée qui a perdu ses racines, et se retrouve coupée de ce nouveau monde où elle avait débarqué quelques années plus tôt : « Cela a laissé des traces inconscientes chez les fils et les petits-fils. »
De la coupure à la discrimination, le pas est vite franchi. Olivier Bertrand rapporte le malaise ressenti à l’époque : les jeunes se rendent compte peu à peu qu’ils sont entre eux et seulement entre eux. Entre Arabes. Ils sont de surcroît écartés des parcours scolaires classiques : « Il était dur d’entrer au lycée quand on était fils d’immigré. Il fallait que les parents aient eux-mêmes un bon niveau, et se battent… » Il se rappelle de son passage de la troisième à la seconde, dans sa banlieue de la région parisienne : « Il n’y avait plus que deux ou trois des Arabes qui étaient mes copains de collège. Et à l’époque, cela ne m’a pas frappé, comme si déjà, c’était naturel. »
Si cela se constate à l’intérieur de la ville, le débat ne déborde pas « à l’extérieur » : les banlieues ont déjà pris la forme de cités, de huis clos mal perçus ou instrumentalisés par le monde politique. Les initiatives telles que la « Marche des Beurs » sont « récupérées » à gauche. La politique de la ville n’en est qu’à ses prémices. Mais surtout, les élus ont bien conscience que le renouvellement des mandats ne se joue pas dans les banlieues : « La majorité de la population n’a pas le droit de vote dans certains quartiers ! », précise Olivier Bertrand. Autant de raisons qui font que, peu à peu, la poudre s’entasse sous les fragiles fondations sociales. L’étincelle vient bien souvent d’un incident, de la mort d’un gamin ou d’un accrochage entre les forces de l’ordre et une partie de la population.
« Les jeunes se sont rendus compte qu’on obtenait plus avec la violence qu’avec la patience »
Le 6 octobre, quand un habitant de Vaulx-en-Velin est heurté par une voiture de police niveau d’un barrage, la ville s’embrase. Le centre commercial est pillé, des affrontements ont lieu. « Là, les moyens sont arrivés » note Olivier Bertrand. « Les jeunes se sont rendus compte qu’on obtenait plus avec la violence qu’avec la patience ». Un mal pour un bien, selon lui, car après ces événements, Vaulx-en-Velin devient le laboratoire expérimental des politiques de la ville : « L’approche a été systémique. On ne réussit que si l’on bouge tous les leviers à la fois. »
Ces leviers, ce sont d’abord les chantiers lourds. A coup d’âpres négociations, on attire dans la ville des promoteurs immobiliers qui refusaient jusque là d’y mettre les pieds. L’objectif : viser la mixité sociale en faisant revenir les classes moyennes. Au logement s’ajoute la mise en place d’un transport direct vers Lyon, sans sensation de « check point » et sans frontière implicite. Le maire devient le « pilote » de ces transformations. A ses côtés, une personne est nommée pour représenter l’ensemble des administrations, afin de simplifier les démarches. Olivier Bertrand parle d’un cercle vertueux : « Actuellement, la mixité sociale revient. Les changements successifs de ministre en charge de ces dossiers n’ont pas brisé ce mouvement.»
Il ajoute aussitôt que tout n’est pas réglé. Vaulx-en-Velin n’a pas été épargnée par les émeutes de 2005 même si, selon lui, « la ville n’a pas explosé ». Il affirme qu’il émane même désormais une certaine fierté de la part des habitants, qui sont parvenus à se réapproprier leur ville. « Mais il a fallu vingt ans pour cela, et Vaulx-en-Velin n’a peut-être pas encore parcouru la moitié du chemin nécessaire… »
De quoi donner matière à réflexion au gouvernement actuel, qui préconise « des solutions simples pour des problèmes complexes ».
Le débat et les témoignages
Un spectateur souligne dès le début du débat « qu’à Planoise, il n’y a pas rien », en opposition avec l’exposé de Didier Lapeyronnie, sans toutefois occulter une réalité parfois dérangeante (la circulation des mobylettes, etc…). Cette remarque est reprise plusieurs fois au cours de la soirée : l’attachement des habitants de Planoise à leur quartier est visiblement assez vif.
Un professeur en lycée technique, d’origine tunisienne, dit « s’identifier à ce qui a été dit et à la discrimination » subie par la population d’origine maghrébine. Il raconte avoir été « le seul élève arabe en seconde » et note que « 90 % de ses élèves (également d’origine maghrébine) pourraient être dans un parcours général » mais sont orientés de facto vers les filières techniques. Il note le manque d’implication des politiques, et estime que « le PS devrait prendre le débat en main ». Il conclut en rappelant que la demande de sortir des quartiers existe, et qu’un « projet collectif » est nécessaire, tout en notant que « certains de ses anciens élèves ne sont pas allés en ville depuis 20 ans ».
Un monsieur souligne que les problèmes abordés « se traînent depuis cinq générations ». Il se dit agacé que l’on parle encore « d’intégration » après tant de temps, et met en cause des politiques maladroites, évoquant « la construction de cages à lapins » en guise d’immeubles à Valentigney : « Que les politiques fassent leur boulot ! »
Un monsieur intervient pour préciser qu’il est originaire du nord de la France, et qu’il a séjourné au Maghreb. Il raconte avoir subi une agression « par deux Maghrébins saouls », ce dont il ne semble pas leur garder rigueur. Il rappelle que le problème de l’intégration concerne aussi les Portugais, les Roumains… et note qu’à l’instar de ce qui a été dit, son neveu ne va jamais en ville.
Un monsieur intervient pour noter son désaccord avec le terme « ghetto » employé par Didier Lapeyronnie. Il met en avant le fait que cela rappelle le vocabulaire des camps de concentration nazis, notant « qu’en France, on a la liberté ». Il rappelle que « même si la ville est éloignée, si l’on veut, on peut y aller ».
Une habitante de Planoise met en avant le « vivre-ensemble » et le brassage des cultures qui représentent, selon elle, des réalités à Planoise. Elle fustige des gens « extérieurs au quartier, qui donnent des leçons mais n’ont jamais trouvé de vraies solutions » aux problèmes d’intégration. L’expression « notre quartier » revient souvent dans son intervention.
Une autre dame dit ne pas avoir compris l’utilisation du mot « ghetto » par Didier Lapeyronnie. Elle reprend les critères sur lesquels s’appuie le sociologue et affirme notamment « qu’à la campagne aussi, tout le monde se connaît ». Elle dit ne pas reconnaître Planoise dans ce qui a été décrit, et affirme que l’augmentation actuelle de la violence est « sociétale » et n’est pas que le fait des banlieues. Elle donne pour cela l’exemple des violences conjugales, et conclut sur la nécessité d’enseigner une Histoire commune à tous les enfants afin de renforcer le sentiment d’appartenance nationale.
Un monsieur note que, face aux discriminations, les lois existent et qu’elles doivent être appliquées. Il explique qu’un « testing » sur le sujet a été réalisé à Besançon au moment des élections et note la difficulté de certaines populations à rentrer en boîte de nuit.
Un autre spectateur, qui habite Planoise depuis 38 ans, souligne que la partialité des médias l’agace : « On parle beaucoup de ce qui va mal à Planoise, et très peu de ce qui va bien. » Il note l’importance du travail associatif au sein du quartier, trop peu mis en valeur selon lui.
Didier Lapeyronnie répond aux premières remarques.
Sur le ghetto, il affirme avoir bien conscience de réaliser un « acte politique » en faisant un livre et en employant ce mot. Il reconnaît que cela sert au « buzz » médiatique : « Si j’avais appelé cela l’enclave, personne ne s’y serait intéressé. » Il avance également que les habitants qu’il a rencontrés au cours de son travail parlent eux-mêmes de « ghetto » pour désigner leur quartier. Il ajoute : « Il se constitue autour d’une catégorie de personnes dominées, avec un processus de discrimination, de réalité de personnes repoussées en dehors des villes. Cela ressemble à un village, mais c’est une société fermée. » … et ce alors qu’elle n’a pas de raison « physique » de l’être.
Il explique ensuite que les réalités sont mouvantes à l’intérieur : « Le ghetto s’impose, mais certaines personnes n’y participent pas. » Le débat, pour lui, n’est pas de casser le ghetto, mais au contraire de le raccrocher au reste de la ville et de la société. Il rappelle que toutes les banlieues ne sont pas des ghettos. Mais il note qu’il ne voyait pas il y a dix ans ce qu’il a vu durant son étude.
Olivier Bertrand répond à son tour.
En ce qui concerne le fait que l’on parle beaucoup des faits-divers en banlieue, il explique que c’est « parce que cela fait vendre. » Il dit regretter que la fonction pédagogique de la presse tende à disparaître : « On nourrit les représentations ».
Sur l’attachement que l’on peut ressentir envers son quartier, il affirme le comprendre et donne l’exemple de Vaulx-en-Velin : « Il y existe une véritable vie associative. Beaucoup de personnes vivent mal le fait de devoir partir ! » Il précise qu’il avait lui-même un réseau conséquent dans cette ville, où le service public est très présent. Il note toutefois le manque de moyens accordés à l’éducation.
Un spectateur demande aux intervenants ce qu’ils pensent de la politique de la ville menée actuellement, et quelles seraient, selon eux, les bonnes solutions. Un autre note que « la discrimination, ce n’est pas que vrai » et donne l’exemple de réussite professionnelle de médecins maghrébins.
La dame qui avait souligné l’importance de l’enseignement d’une histoire commune reprend la parole. Elle insiste encore sur ce point et avance qu’il serait temps que la France assume son histoire coloniale pour tisser de meilleurs liens avec sa population d’origine immigrée : « On doit se l’approprier ensemble. » Elle affirme également que la France des ghettos s’auto-exclut parce que ça l’arrange (rapport aux trafics, notamment illégaux).
Un monsieur, dont l’intervention est très contestée, affirme que les pouvoirs publics agiraient de manière insidieuse en dotant les banlieues d’infrastructures seulement pour être certains que les habitants restent sur place.
Une dame note que « beaucoup de choses sont fondées dans ce qui a été dit. » Elle affirme que cela ne représente pas la réalité de Planoise, favorisé par son côté multiculturel : « Ce n’est pas que la France ou que le Maghreb. » Toutefois, elle note que ce qui était une force est en train de devenir une faiblesse au sein du quartier « avec le développement du communautarisme, qui créé des mini-ghettos. » Elle affiche cependant son optimisme, en donnant l’exemple de ces nombreuses personnes d’origine étrangères, même les plus âgées, qui font l’effort d’apprendre le français. Un autre spectateur note sur ce point que Planoise est effectivement multiple : « Il n’y a pas un Planoise ».
Didier Lapeyronnie reprend la parole.
Il pense que le ghetto est le « cœur négatif » de la société : « On le construit collectivement et on cherche à s’en échapper individuellement. » Il explique également que le ghetto se construit « par le haut », consécutivement aux classes de population aisées qui s’isolent. Il note plus généralement que les villes ne sont plus intégrées comme autrefois, autour du marché et de l’église, et qu’il faut faire son deuil de l’idée d’intégration : la ville est désormais un « archipel », un assemblage de lotissement que le politique doit apprendre à gérer.
Sur la politique de la ville… il affirme tout simplement qu’il n’y en a plus ! Il note la dégradation progressive des conditions de vie dans les quartiers (notamment la hausse du chômage) et en déduit l’échec de ce qui a été mené jusque là politiquement parlant.
Il affirme, enfin, être communautariste et préconise de donner aux populations exclues les armes politiques pour se défendre et se raccrocher à la société (éducation, association…). Il conclut en expliquant que la peur, qui domine le monde urbain, est aussi une manière d’exclure l’autre, de lui faire sentir qu’il n’appartient pas à telle ou telle classe sociale de la population.
Olivier Bertrand conclut.
Il dit avoir ressenti « beaucoup de fierté » quant à l’appartenance au quartier de Planoise et affirme que cela est similaire à Vaulx-en-Velin. Concernant la politique de la ville, il déplore qu’elle ait été « compliquée en permanence » par une multiplicité de dispositifs. Il rappelle cependant que l’on juge trop souvent à l’aune de la violence, et que la politique de la ville n’est pas mise en œuvre pour protéger les centres-villes, mais créer de l’emploi et améliorer les conditions de vie en milieu urbain.
Il revient ensuite sur l’importance de la langue française, évoquée par une dame, et note qu’il s’agit là « d’une des rares choses positives » portées par le gouvernement actuel… même si c’est sans doute pour de mauvaises raisons. Il conclut en rappelant qu’il faut comprendre les failles dans la construction identitaire pour comprendre le problème des jeunes de banlieues.
Imprimer l'article | Cette entrée a été postée par Barbara Romagnan le 6 mars 2011 à 18 h 00, et placée dans 1ère circonscription du Doubs. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via RSS 2.0 Les commentaires et les pings sont fermés pour l'instant |
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