Analyse

« Construire une communauté imaginaire », par François Dubet

Le Monde

Je vous conseille la lecture de cette tribune de François Dubet, sociologue, paru dans Le Monde du 13 décembre dernier.

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La solidarité ne se limite pas à des mécanismes de prélèvements et de redistributions, aussi équitables et efficaces soient-ils. Pour que chaque citoyen accepte de payer pour les autres, pour ceux qu’il ne connaît pas et dont il veut cependant garantir une égalité relative, il faut d’abord que les individus se sentent engagés dans la même société. Les mécanismes de la solidarité reposent sur un ensemble de représentations, de symboles et d’imaginaires grâce auxquels chacun se sent lié par des droits et des devoirs, des dettes et des créances. Pour que la solidarité produise de l’égalité et de la cohésion, un sentiment diffus de fraternité doit fonder les sacrifices et les dons que nous faisons en payant nos impôts et nos cotisations.

Aujourd’hui, les dimensions symboliques et imaginaires de la solidarité sont mises à mal. Le « ras-le-bol fiscal » n’est souvent que le refus de payer pour ceux auxquels on ne se sent plus liés. On continue à transférer les dettes sur les plus jeunes, on accepte moins de payer pour des pauvres, bien des communes refusent les logements sociaux, chacun essaie de sauver sa peau à l’école et nombre de corporations et de communautés locales ne défendent plus qu’elles-mêmes, pendant qu’une part des élites ne renonce guère aux revenus « obscènes » et à l’évasion fiscale… A terme, le sentiment de solidarité se rétrécit et se ferme, ne se fondant parfois que sur l’hostilité à l’égard des étrangers de l’extérieur et, surtout, des étrangers de l’intérieur.

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