Dans les médias
La Tunisie, pays plein de ressources
24/03/15
Impressionnée par la révolution tunisienne et curieuse des suites qui y seraient données, je me suis rendue à plusieurs reprises dans le pays après le 14 janvier 2011. Ces séjours à moins de deux heures d’avion, juste de l’autre côté de la Méditerranée, dans un pays dont nous partageons un peu d’histoire, dans lequel nous sommes nombreux en France à avoir des amis, ont été plein de surprises. J’y ai notamment vu de nombreuses raisons d’être confiant quant à l’avenir de la démocratie naissante.
Je savais déjà que la Tunisie était relativement avancée en matière de statut des femmes, singulièrement dans les pays arabes. On peut rappeler également que les filles représentent 59,5 % des étudiants. Dans les faits, la situation est contrastée, mais ce que j’ai vu sur place m’a paru encourageant.
À l’occasion de deux réunions politiques publiques, à Tunis et dans un secteur rural à proximité de la frontière algérienne, j’ai pu constater que nombre de Tunisiennes ne craignaient pas de prendre la parole. Elles étaient, comme partout dans le monde, minoritaires à la tribune. Mais dans le public, elles ont été à chaque fois largement majoritaires dans les prises de parole et leur détermination n’avait rien à envier à celle des hommes. Cela m’a frappée car, habituée des réunions publiques en France, je ne crois pas avoir déjà assisté à une seule réunion où les prises de parole étaient majoritairement féminines – sauf dans des réunions dont les femmes étaient l’objet. Cela ne dit pas tout de la place des femmes en Tunisie, ni même de la force de la démocratie, mais je crois que c’est un indice intéressant de la vie démocratique dans ce pays.
J’ai eu également l’occasion d’un échange avec des parlementaires du parti islamiste Ennahdha et des partisans de Nidaa Tounès qui m’a confortée dans cette idée. Ces parlementaires ont des visions de la société et de son organisation souhaitable toujours aussi opposées, mais ils ont convenu que quelque chose avait changé entre le début et la fin de leur mandat. Alors qu’au début chacun aspirait à éradiquer – politiquement – l’autre camp, ils avaient fini par accepter l’existence des autres, à les reconnaître certes comme des adversaires mais aussi à « faire avec » eux. Leurs désaccords, profonds, persistaient, ils continuaient à s’opposer mais ne cherchaient plus à s’éliminer.
Quelques jours après le terrible attentat de Tunis, n’oublions pas que ce pays et ses habitants sont pleins de ressources.
Barbara Romagnan
Chronique publiée dans L’Humanité le 23 mars 2015
Pour la généralisation du tiers payant
17/03/15
Le tiers payant évite à l’usager de devoir avancer de l’argent quand il va consulter un professionnel de santé, sur la part remboursée par l’assurance maladie ainsi que sur la part remboursée par les assurances complémentaires. Le tiers payant est donc un des moyens de lutter contre le renoncement aux soins. En effet, pour certaines personnes, le simple fait de devoir avancer les frais (qui leur seront ensuite remboursés) est une difficulté.
Le tiers payant n’est pas une nouveauté : les médecins le pratiquent déjà pour les bénéficiaires de la CMU (couverture maladie universelle) et de l’AME (aide médicale d’État). C’est le cas aussi des pharmaciens ou des infirmiers. Le dispositif fonctionne donc déjà. C’est le fait de le généraliser qui est nouveau et semble susciter le rejet d’un nombre important de professionnels. Je ne comprends pas une opposition si farouche. J’entends l’argument de la complexité et du travail supplémentaire générés par le dispositif du tiers payant. Cela ajoute à la charge, parfois déjà très lourde pour certains praticiens, et peut se traduire par une ré- duction de leur activité de soins. Il est sans doute nécessaire d’alléger, simplifier cette procédure, et d’accompagner les professionnels pour la mise en œuvre de ce changement. Mais il me semble que cela ne saurait remettre en cause le principe de cette mesure essentielle pour la santé publique et la justice sociale.
Un autre argument est avancé en opposition à la généralisation du tiers payant : l’absence d’avance de frais entraînerait des abus de la part de patients déresponsabilisés. Les études menées sur cette question n’ont pas démontré que le tiers payant inviterait à la surconsommation de la part de patients peu soucieux des deniers publics. De même que, sur un plan plus général, le fait de payer quelque chose n’implique pas forcément une « responsabilisation », certains estimant que parce qu’ils paient, ils peuvent se permettre davantage que quand ils ne paient pas. Surtout, je pense que les patients vont chez le médecin pour recueillir un avis de santé qui implique éventuellement des soins, non pas pour « consommer ».
Il me semble que le problème majeur auquel nous sommes confrontés est le fait que des personnes renoncent à se soigner ou repoussent ce moment faute de moyens. C’est un enjeu de justice sociale. C’est également un enjeu majeur de santé publique. Des personnes soignées à temps, cela limite les risques de propagation des maladies et évite des interventions en urgence, beaucoup plus coûteuses pour la collectivité.
Libres d’être comme elles le souhaitent
10/03/15
Autour du voile se posent des questions d’ordres très différents sur le plan des principes, mais qui sont souvent mêlées dans les débats. Par exemple, ce qui interdit à un agent public de porter le voile dans l’exercice de ses fonctions, c’est le principe de la neutralité de l’État. Bien comprise, la laïcité permet d’accepter à la fois que les religions n’interviennent pas dans la sphère politique mais que les manifestations de croyance religieuse soient libres dans l’espace civil, notamment sur la voie publique, autrement dit dans la rue.
On invoque souvent aussi l’émancipation des femmes comme argument contre le voile. Porter un voile, cacher son corps, ce serait une marque de soumission de la femme à l’homme – à son mari, à son père, à son frère… J’avais spontanément tendance à le penser également. Sans être totalement revenue sur cette idée, je vois les choses un peu différemment aujourd’hui. Jusqu’où montrer son corps est-il une manifestation de liberté ? Le port de vêtements moulants, courts ou transparents est-il toujours un signe de liberté ou parfois de soumission aux souhaits de certains hommes, ou à certains codes vestimentaires ? Imposer à une femme de porter le voile, c’est certes porter atteinte à sa liberté, mais lui interdire de le faire, cela me gêne aussi. Pourquoi serait-on obligée de montrer ses cheveux ? Qui peut décider ce qu’une femme doit ou peut donner à voir à tous dans la rue ?
Derrière la prescription ou la proscription d’un vêtement, il y a aussi l’assignation à une certaine identité, à une place à laquelle on devrait se tenir. Il me semble qu’on défend mieux les femmes en défendant leur liberté de s’habiller comme elles le souhaitent, qu’en les obligeant à enlever un voile. Une étudiante française, musulmane, mère de deux enfants, m’a dit porter un foulard parce que c’est une des dimensions de sa façon de vivre sa croyance. Mais ce foulard, elle le porte pour elle pas contre les autres, elle le porte sur elle, elle ne le jette à la figure de personne. Elle m’a dit aussi apprécier son foulard qui lui épargnait des regards trop appuyés ou des commentaires sur son physique qu’elle avait subi adolescente. Je crois que reconnaître la liberté des femmes suppose de les voir comme des sujets capables de donner le sens de leurs choix, et non comme les objets d’un discours, venu de l’extérieur, qui dirait ce qu’elles doivent faire ou être.
Barbara Romagnan
Chronique publiée dans L’Humanité le 9 mars 2015
Un scrutin binominal et paritaire
3/03/15
Les élections cantonales ne semblent pas passionner. C’est dommage, car les élus de cette collectivité ont la responsabilité de politiques sociales majeures, importantes pour nombre de nos concitoyens : petite enfance, handicap, personnes âgées, insertion. Indépendamment de cet enjeu, l’élection de cette année présente des nouveautés qui méritent l’attention : nouveau découpage et scrutin binominal. Ce redécoupage ne fait pas toujours sens et peut être contesté. Néanmoins, il constitue un progrès démocratique.
Dans certains départements, des cantons pouvaient compter dix fois plus d’habitants que d’autres. Ainsi, certains conseillers généraux représentaient dix fois plus de citoyens que d’autres. En rééquilibrant la population vivant dans les cantons tout en prenant en compte les spécificités géographiques, par exemple la faible densité des zones de montagne, cette inégalité est partiellement corrigée.
Une autre nouveauté est à noter : le scrutin binominal et paritaire. Il va permettre de faire un progrès considérable dans l’égalité de la représentation politique entre les hommes et les femmes. En effet, grâce à ce mode de scrutin, le nombre de femmes élues sera exactement le même que le nombre d’hommes alors que cette collectivité se distinguait jusque-là par sa misogynie. Depuis 1970, seules 11 femmes ont présidé un département et moins de 15 % de femmes composent les élus des départements.
Certains s’étaient inquiétés de la difficulté de trouver des candidates. Il est vrai qu’il n’a pas suffi de changer la loi pour déclencher les vocations, notamment en secteur rural. Mais cela ne devrait pas nous surprendre quand on se rappelle que les femmes exercent toujours la quasi-totalité des tâches ménagères, représentent plus de 90 % des chefs de familles monoparentales et ont des salaires inférieurs de 29 % à ceux des hommes. Elles assument aussi l’immense majorité des responsabilités familiales, qu’il s’agisse du soin des enfants ou des aînés. Reste enfin le sentiment d’incompétence qui me semble plus présent chez les femmes.
La loi ne répond pas à ces difficultés, notamment matérielles, mais incite davantage les femmes à se poser la question de leur engagement malgré tout et d’y répondre éventuellement positivement. Reste à la société de créer les conditions d’une participation plus simple des femmes à la vie publique, notamment par le développement des lieux d’accueil de la petite enfance, par l’encouragement d’un meilleur partage des responsabilités familiales, par une politique d’égalité salariale, des améliorations favorables à un meilleur bien-être de tous dans la société. Reste à la société de créer les conditions d’une participation plus simple des femmes à la vie publique.
Barbara Romagnan
Chronique publiée dans L’Humanité le 2 mars 2015
Pour que la fin de la vie soit aussi la vie
24/02/15
Comme tout le monde, je souhaite que l’on permette à chacun de vivre et de mourir dans la dignité. Quant à savoir ce que signifie « mourir dans la dignité », c’est là quelque chose de plus difficile à définir. En effet, cette question ne se résout pas à partir de la position que l’on occupe sur l’échiquier politique. Il n’y a pas une réponse de gauche et une réponse de droite sur la fin de vie. Il n’y a pas non plus une opinion progressiste et une autre qui serait réactionnaire ou moralisatrice. Il y a quelques points que j’ai clarifiés pour moi-même, d’autres qui sont plus difficiles.
Je crois essentiel que les directives anticipées aient un caractère contraignant, que les décisions du malade soient respectées, que le patient soit bien au cœur du dispositif. Dans l’état actuel du droit, les directives anticipées ne s’imposent pas au corps médical. Ce qui, de surcroît, lui fait porter une responsabilité considérable. Je crois aussi crucial que l’on permette l’apaisement des souffrances par sédation profonde et continue jusqu’à la mort. Les projets de loi en discussion actuellement le prévoient tous les deux. Le débat porte sur le fait de savoir si, au-delà de la sédation profonde et continue, il faut légaliser l’aide active à mourir.
Si la loi autorise l’aide active à mourir, comment empêcher, surtout dans une société qui valorise la jeunesse, la performance, la rentabilité, que celles et ceux qui, vieux, diminués, seuls, se sentant comme un poids pour les autres demandent à mourir ? Il me semble que nous, la société, avons la responsabilité de les aider à vivre, non de les confirmer dans l’idée qu’ils n’ont plus de raison d’être des vivants, que leur existence n’a plus de sens. Pour autant, si malgré tout, quelles qu’en soient les raisons, ses raisons, la personne demande à ce qu’on l’aide à mourir, peut-être faut-il que la possibilité existe, qu’on puisse lui dire que si vraiment c’est son choix, elle pourra le faire et qu’elle ne sera pas seule pour cela.
L’expérience belge montre que certains des malades qui avaient demandé une euthanasie ont choisi de vivre jusqu’au bout quand cette demande avait été accueillie, reconnue et prise en compte, quand ils avaient pu expliquer au personnel médical et à leurs proches les raisons de leur décision. Une grande part de ces demandes disparaît quand la personne est soulagée de ses souffrances et bien entourée. Mais comment savoir ce que l’on choisira finalement quand on sera personnellement confronté à ce choix pour soi-même ou ses proches ?
Barbara Romagnan
Chronique publiée dans L’Humanité le 22 février 2015
Le foulard de la discorde
17/02/15
Une élue, également maman et éducatrice de profession, m’a dit avoir été en colère en entendant la ministre de l’Éducation nationale dire qu’une mère voilée pouvait accompagner une sortie scolaire. Elle dit ne pas accepter que quelqu’un qui porte des signes religieux puisse s’occuper d’enfants dans une institution de la République et considère que c’est une atteinte à la laïcité.
Cette question de l’accompagnement des sorties scolaires est très discutée. Les ministres de droite Xavier Darcos et Luc Chatel y avaient répondu d’une façon différente. Najat Vallaud-Belkacem a en effet tranché la question en estimant que les parents qui accompagnaient des sorties scolaires n’étaient pas des « collaborateurs du service public » et qu’ils échappaient donc à l’obligation de neutralité religieuse. Si le sujet est difficile, c’est la position dans laquelle je me reconnais. Ainsi, les mères voilées ne sont pas a priori exclues de l’accompagnement des sorties scolaires. Néanmoins, cela ne les autorise pas à faire du prosélytisme religieux, de même qu’on n’a pas le droit de faire du prosélytisme politique. C’est aux enseignants d’en juger.
De l’enjeu du temps de travail des femmes
10/02/15
En même temps que l’on fête les quinze ans des trente-cinq heures, est sortie une étude du Trésor qui a attiré mon attention. Il s’agit d’une comparaison entre la France et l’Allemagne sur le temps partiel et le temps de travail. Cette étude, qui porte sur la période 1999-2011, commence par rappeler que les durées annuelles moyennes de travail en France et en Allemagne sont très proches, autour de 1 650 heures par an. Cette similitude masque des différences assez importantes sur le partage du travail et les places respectives des femmes et des hommes. En France, le temps de travail moyen d’un salarié à temps plein est inférieur, en moyenne, de deux cents heures à celui rencontré en Allemagne. En revanche, la proportion de travailleurs à temps partiel est beaucoup plus importante en Allemagne, 18 % en France pour 26 % en Allemagne.
Au cours de la même période, le nombre de personnes ayant un emploi a progressé de 9,1 % en Allemagne et de 14,1 % en France, alors que le volume d’heures travaillées est resté sensiblement le même. Ainsi, si le nombre de personnes qui travaillent augmente dans des proportions importantes, alors que le nombre d’heures travaillées reste stable, c’est que le temps individuel moyen a diminué et que le temps global de travail a été partagé d’une façon ou d’une autre. Et cette façon n’est pas sans importance.
Le combat des Grecs est aussi le nôtre
4/02/15
La victoire de Syriza est une excellente nouvelle porteuse de beaucoup d’espoirs. Même si chacun peut lui donner un sens différent, il me semble que cette victoire verse de l’eau au moulin de ceux qui pensent que la gauche n’est pas tenue de se calquer sur la droite pour lutter contre l’extrême droite et la devancer dans les urnes. C’est également une démonstration que la gauche anti-austérité peut être pro-européenne et ne pas verser dans le repli nationaliste.
Mais ce qui m’a vraiment touché, c’est que ces citoyens, pour beaucoup assommés par les politiques d’austérité, sont allés voter et ne se sont pas réfugiés dans un vote de protestation, comme on le voit si souvent et comme on peut le comprendre, à défaut d’y adhérer. Une proportion très importante de la population grecque a pensé que la politique peut changer quelque chose à leur vie et à celle des autres, que leur bulletin de vote avait du pouvoir, que voter pouvait avoir du sens. La façon dont je comprends ce que nous dit le discours de Syriza c’est aussi que la dette n’oppose pas des pays ou des peuples les uns aux autres, mais que cette question traverse chacune de nos sociétés. Il ne s’agit pas pour moi de dire que la dette est sans fondement, ni qu’elle doit totalement être effacée. Néanmoins, il ne faudrait pas oublier que l’essentiel est qu’il y a des gens, des personnes, derrière les chiffres et les statistiques. Ceux qui sont au chômage, ceux dont le salaire a baissé de 35 % ne sont pas les responsables de la situation. Ils n’ont rien pris dans la poche des autres citoyens européens. La situation est déjà extrêmement difficile pour eux. Qui peut croire qu’enfoncer encore le peuple grec peut être favorable à la construction européenne et à ceux qui habitent l’UE ? Qui peut croire également que, légitime ou pas, cette dette peut être remboursée en totalité ?
Après la Deuxième Guerre mondiale l’Allemagne comme la France avaient obtenu un moratoire sur une partie de leur dette à la conférence de Londres. Ne nous obstinons pas dans une exigence absurde de remboursement impossible qui pourrait conduire au pire. Après l’occasion manquée et la profonde déception faisant suite à la victoire de François Hollande en France, je perçois dans la victoire de Syriza une opportunité pour réorienter l’Europe, en faire enfin un outil au service des citoyens et un projet collectif qui permette d’améliorer la vie du plus grand nombre et donne envie de vivre ensemble. Le combat des Grecs est aussi le nôtre, comme Français et comme Européens.
Tribune dans Libération : « Etre à la hauteur du défi du 11 janvier »
3/02/15
Je vous invite à lire cette tribune, parue le 1er février 2015 dans Libération, pour tirer les leçons du 11 janvier dernier et avancer vers une nouvelle politique économique. Je l’ai cosignée avec quelques uns de mes collègues socialistes à l’Assemblée.
Frappée au plus profond de ce qu’elle est et de ce qu’elle incarne aux yeux du monde, la France a su se redresser et se rassembler autour de ses valeurs fondamentales. Ce moment national que des circonstances tragiques nous ont amenés à vivre a remis en pleine lumière les fractures du pays, ses territoires oubliés, ses jeunesses aux marges. Cette situation nous oblige, non pas simplement à commenter l’état de la société, mais bien à produire des actes ressentis durablement dans leurs vies par nos concitoyens.
Les manifestations extraordinaires du 11 janvier ne suffisent pas à elles seules à tourner la page et à produire les remèdes espérés. Beaucoup l’ont dit depuis, les réponses de long terme aux défis lancés à notre République - pas seulement dans les quartiers dits «défavorisés» - résident plus que jamais dans notre capacité à lutter efficacement contre le chômage et les inégalités. Mais aussi à dessiner autrement les traits de la France dans laquelle nous invitons à vivre la génération qui vient.
La loi dont la discussion se déroule au Parlement avec Emmanuel Macron nous paraît éloignée de cette ambition. Il faut beaucoup d’optimisme ou d’aveuglement pour se convaincre que des modifications des règles d’installation des notaires ou la possibilité de cinq à douze dimanches travaillés, quand le pouvoir d’achat des Français ne progresse plus, vont répondre à ces défis majeurs en créant des milliers d’emploi.
D’autres «réformes structurelles», le financement de l’économie réelle par les banques, la stimulation effective de la recherche, de l’investissement privé, du logement, de la transition écologique et numérique, seraient infiniment nécessaires. Nous les avons proposées au débat public ces jours-ci. A l’inverse, nous assistons à l’empilement de micromesures, en écho à ceux qui, à Paris ou à Bruxelles, oubliant les leçons du crash de 2008, pensent que le monde irait mieux s’il y avait moins de règles. Nous réinventons l’autobus et le centre commercial, comme s’ils étaient synonymes de liberté, d’innovation ou de progrès… Et nous ne parlons pas ici de la réorientation beaucoup plus profonde encore de la politique budgétaire que devraient imposer, si l’on veut passer sans retard des paroles aux actes, le retour effectif des services publics et la lutte contre les inégalités scolaires dans les territoires relégués de notre République.
Cette loi contient en outre des dispositions contestables, notamment en matière de licenciement économique et de travail dominical. Elle entraîne d’importants reculs pour le droit du travail et la protection des salariés, que les corrections apportées par les parlementaires en commission n’ont pas suffi à évacuer. Sous prétexte de secret des affaires, elle est porteuse de danger pour la liberté d’informer. Elle contribue, de ce fait, à entretenir le sentiment que la gauche agit à contre-emploi, à la faveur de cette nouvelle expérience du pouvoir, et s’éloigne des raisons de son accès aux responsabilités. Face à ces enjeux et à ces risques, il nous semble que le président de la République doit rapidement prendre une initiative de rassemblement national, en commençant par sa majorité. Après avoir su pleinement incarner l’unité de la France autour des valeurs républicaines, il doit se donner les moyens de renouer avec les électeurs qui lui ont fait confiance en 2012, et de réunir l’ensemble de la gauche autour d’une politique économique et sociale à la fois ambitieuse et équilibrée. Soucieux de démocratie sociale, il sait que les organisations de salariés ne reprendront plus vraiment le chemin du dialogue au cours de ce quinquennat si elles sont laissées à l’écart d’un tel projet.
En retirant de cette loi ses dispositions les plus contestables, l’exécutif saurait faire de cette année 2015 le point de départ d’une relance réussie du quinquennat, pour conduire de nouvelles réformes réellement à la hauteur des défis une nouvelle fois réveillés par ce mois de janvier.
Ces questions arrivent dans quelques jours en discussion dans l’hémicycle. Il nous semble nécessaire de retirer du projet de loi les modifications préjudiciables du droit du travail, en commençant par l’extension du travail dominical. Son efficacité économique est très contestée. Les risques pour les familles et les territoires les plus fragiles sont indéniables. Comment éviter la généralisation progressive sur l’année, quand l’exception aura été banalisée ? A l’heure où il est plus que jamais nécessaire de réaffirmer des valeurs et des repères, la «société de marché» ne saurait l’emporter sur celle du temps choisi et du vivre ensemble. Il n’y aura ni recul, ni défaite, dans cet exercice de sagesse collective. Nous y voyons l’amorce de ce compromis historique pour le redressement du pays, voulu depuis 2012 et que les Français attendent.
Daniel GOLDBERG Député socialiste, Christian PAUL Député socialiste, Laurent BAUMEL Député socialiste, Barbara ROMAGNAN Députée socialiste, Pouria AMIRSHAHI Député socialiste, Philippe BAUMEL Député socialiste, Jean-Marc GERMAIN Député socialiste, Fanélie CARREY-CONTE Députée socialiste, Philippe NOGUÈS Député socialsite, Gérard SÉBAOUN Député socialiste et Suzanne TALLARD Députée socialiste
La communauté imaginaire
27/01/15
Sur une place de marché triste, un homme m’a dit son incompréhension face à l’injonction contradictoire adressée à ceux que l’on considère comme appartenant à unedite « communauté musulmane ». Il ne se sent pas appartenir à cette communauté. D’abord parce que selon lui cette communauté n’existe pas. Elle n’a ni représentants politiques, ni représentants cultuels vraiment reconnus par les croyants. Surtout, ce terme implique pour lui une forme de solidarité qui, selon lui, n’existe pas.
Oui il y a des musulmans mais pas de « communauté » musulmane. Ses parents viennent d’Algérie, ils l’ont encouragé à faire des études, même s’ils ne savaient ni lire ni écrire. Il est « intégré » comme on dit. Il a un travail avec des responsabilités, des enfants. Il a même divorcé. Ses parents sont musulmans, c’est une partie de son histoire, de sa culture. C’est donc un bout de lui, mais cela ne le détermine pas. Alors quand il entend qu’il devrait, plus que d’autres, se désolidariser, « en tant que musulman », des terroristes, il ne comprend pas. Il a plutôt l’habitude qu’on lui reproche son appartenance à une « communauté », musulmane en l’occurrence, en raison de son nom et de l’origine de ses parents, alors que lui ne se sent pas plus musulman que la plupart des autres Français ne se sentent catholiques.
Il ne lisait pas Charlie Hebdo. Il ne se sent pas Charlie. Mais il n’en est pas moins scandalisé par les attentats et solidaire des familles qui ont perdu les leurs parce qu’ils faisaient des dessins, leur travail ou des courses. Il a manifesté. Il est inquiet d’autres éventuels attentats mais surtout de la méfiance généralisée, de l’avenir de ces jeunes sans repères ni perspectives, du chômage qui ronge les familles. Il ne croit pas que faire de la France le premier « théâtre d’opérations militaires », comme il l’a entendu dire pour parler des 10 000 soldats déployés sur le sol français nous protège d’autres actes terroristes.
Il est sûr que cela n’améliorera en rien le quotidien de celles et ceux qui vivent dans la difficulté, dans ce pays si riche. Alors, il retourne faire son travail, prévoir des spectacles, permettre aux associations de trouver des salles pour faire leurs activités, organiser des sorties hors du quartier, parler avec les plus jeunes y compris quand ils tiennent des propos qui le glacent. Heureusement, il n’est pas tout seul. Il y a sa collègue de l’accueil qui connaît tout le monde et renseigne toujours aimablement en français ou en arabe, les éducateurs, la bibliothécaire, l’ancienne directrice du collège qui fait un journal pour le quartier, l’entraîneur de karaté, la serveuse du bar, la prof de français retraitée, les écrivains publics, les animatrices de la ludothèque, le directeur de l’école de musique, la caissière de la supérette. « Il a manifesté. Il est inquiet d’autres éventuels attentats mais surtout de la méfiance généralisée. »