Analyse

Le destin dans le berceau

 

En échos aux débats suscités suite aux fuites du bac…ce texte de Camille Peugny dont je vous recommande vivement la lecture.

La « fuite » d’un exercice de l’épreuve de mathématiques du baccalauréat scientifique a de nouveau déchaîné les contempteurs de la massification scolaire. A quoi bon de toute façon, clament-ils en substance partout, maintenir un examen vidé de sa substance puisque « donné à tout le monde ». Les élèves sont mauvais, le niveau baisse, le baccalauréat ne vaut plus rien, les jeunes ne savent plus écrire trois mots sans commettre dix fautes d’orthographe, la France prend l’eau.

Il faut inlassablement répéter que non, 80% d’une génération n’obtient pas le baccalauréat puisque depuis quinze ans ce taux reste bloqué légèrement en dessous des 65%. Inlassablement répéter que parmi les enfants d’ouvriers nés entre 1981 et 1985, seuls 50% ont obtenu leur baccalauréat et seuls 35% un baccalauréat général ou technologique. La massification scolaire est donc loin d’être achevée, et non, « on ne donne pas le baccalauréat à tout le monde ». Mais ces critiques sont également insupportables pour le « racisme social » qu’elles véhiculent. L’âge d’or du baccalauréat auquel on se réfère, lorsque seuls 10% d’une génération obtenaient le parchemin, est un âge fondamentalement inégalitaire où seuls les enfants riches du patrimoine économique et culturel de leurs parents fréquentaient le lycée. Les nouveaux bacheliers des années 1980 et 1990 sont des bacheliers populaires : pour les beaux esprits, ils ont évidemment fait baisser le niveau. Ce débat est vieux comme le monde. « Les copies fourmillent de fautes de langage et d’orthographe; il semblerait qu’on n’apprenne plus la langue française » pestait Le Doyen des lettres à Bordeaux en… 1864, et je vous épargne la très connue citation de Socrate à ce sujet. Qu’on l’accepte ou non, le niveau général de connaissance de la population ne cesse d’augmenter car des dizaines de milliers d’élèves chaque année poursuivent des études dont ils étaient jadis largement exclus. Parmi les enfants d’ouvriers sortis de l’école depuis 5 à 8 ans en 2009, 75% exercent un emploi d’ouvrier ou d’employé, soit une diminution d’à peine 10 points en un quart de siècle. C’est bien ce constat insupportable, celui d’un degré de reproduction sociale insupportable dans la France du 21ème siècle qui doit interpeller, et non pas un débat vide de sens sur le niveau des bacheliers. Comment se fait-il, alors même que les taux de scolarisation des enfants des classes populaires ont considérablement augmenté au cours des dernières décennies, que les cartes ne soient pas plus radicalement redistribuées entre les générations ? Evidemment, les sociologues de l’éducation ont apporté beaucoup de réponses. Si les enfants des classes populaires accèdent au collège puis au lycée, alors les inégalités se déplacent plus loin dans le système scolaire mais ne disparaissent pas. Par ailleurs, la filiarisation croissante des différents niveaux d’enseignement à partir du deuxième cycle de secondaire transforment des inégalités « quantitatives » (en termes de niveau d’étude) en inégalités « qualitatives » (le type d’études, la nature du diplôme).Mais il faut aussi prendre en compte l’élitisme échevelé de l’école française, qui dès le plus jeune âge, évalue, note et classe les élèves, alors même que ces premières années de scolarité sont fondamentales : même si les inégalités sociales de réussite sont déjà présentes, c’est à ce stade qu’elles sont les plus faibles puisqu’elles ne font qu’augmenter dans la suite du cursus. A rebours des politiques menées ces dernières années, la lutte contre les inégalités sociales de réussite et de cursus scolaires et ainsi la lutte contre la reproduction sociale passent par un effort considérable pour l’enseignement maternel et primaire. A ce prix, les quelque 150000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme cesseront d’être une fatalité. A ce prix, et si l’on reconnaît que l’école de la République dont se gargarisent certains n’est plus méritocratique depuis longtemps, alors peut-être aura-t-on les moyens de construire une école véritablement démocratique. A ce prix, le destin des individus cessera de reposer dans leur berceau.

                   Camille Peugny 

« Les juges se sentent abandonnés »

Robes de jugesC’est ce qu’écrit Libération dans un article de ce vendredi 21 janvier. Les magistrats se sont en effet rassemblés devant le tribunal de Bobigny pour accueillir Michel Mercier (Garde des Sceaux), venu officialiser la première entrée solennelle du nouveau Président du tribunal : Rémy Heitz. Les syndicats  se sont mobilisés pour protester contre les attaques récurrentes  portées au monde judiciaire.

Les magistrats expriment leur indignation quant au manque cruel de moyens accordés au monde judiciaire. La France est à la 37ème place (sur 43) des pays européens pour  le budget alloué à la justice. Le remplacement d’un fonctionnaire sur deux n’a pas épargné les magistrats qui sont aujourd’hui très largement en sous effectif. Les conséquences sont graves : certains dossiers, déposés aujourd’hui, ne passeront pas en audience avant 2012 !

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Stéphane Hessel, ou la leçon d’indignation / Edito de Gérard Courtois

Indignez-vous

"Indignez-vous", Stéphane Hessel (Indigènes éd.)

Avouons un brin de mauvaise conscience quand c’est un monsieur de 93 ans qui nous interpelle ainsi : « Le motif de base de la Résistance était l’indignation. Nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l’héritage de la Résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! »

L’embarras n’est pas moindre quand l’intrépide vieux monsieur, Stéphane Hessel, ancien de la France libre, déporté à Buchenwald et Dora, corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, ajoute : « Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie. Je vous souhaite à tous, à chacun d’entre vous, d’avoir votre motif d’indignation. C’est précieux. » (Indignez-vous !, Indigène Editions, 32 p., 3 euros, déjà tiré à plus de 200 000 exemplaires.)

De fait, il suffisait, ces derniers jours, de se baisser pour les ramasser, les sujets d’indignation. Prenez cette désormais fameuse enquête PISA, menée par l’OCDE depuis dix ans dans une quarantaine de pays et qui évalue les compétences de base des élèves de 15 ans. Le résultat a été amplement commenté : l’école française régresse et obtient péniblement la moyenne (Le Monde du 8 décembre).

La cause globale de ces médiocres performances est claire : notre système scolaire ne donne pas les mêmes chances à tous, il privilégie une petite élite et laisse sur le bord du chemin un nombre croissant de jeunes, notamment ceux dont l’origine familiale et sociale est la plus modeste. Or l’enquête PISA le démontre de façon éloquente : les sociétés les moins inégalitaires sont celles dont l’école est la meilleure. Ce n’est d’ailleurs pas une découverte. Comme le rappelle Stéphane Hessel, le programme du Conseil national de la Résistance, déjà, appelait à « la possibilité effective pour tous les enfants français de bénéficier de l’instruction la plus élevée », sans discrimination.

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Cumul des mandats, le piège (par Guy Carcassonne)

Je vous recommande la lecture de cette tribune de Guy Carcassonne, juriste spécialiste du droit constitutionnel, publiée dans Le Monde daté du 3 mai 2010.

Il y aborde la question du cumul des mandats.

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Le cumul des mandats est une plaie. Il faut la cautériser. Rien n'interdit de le faire intelligemment. Reprenons tour à tour chacune de ces trois affirmations. Que le cumul soit une plaie tient d'abord à cette évidence, que l'on connaît au moins depuis Goldoni : même Arlequin ne peut servir convenablement deux maîtres. La nation et les collectivités territoriales ont des intérêts qui peuvent être différents voire, à l'occasion, s'affronter. Celui qui est élu des deux penchera d'un côté et abandonnera l'autre. La confusion des genres nuit toujours à l'un d'entre eux au moins, quand ce n'est pas aux deux. Or représenter la nation est une occupation qui est bien digne d'un plein-temps et qui s'exercera d'autant mieux que l'on n'aura que cela à accomplir, ce qui est déjà beaucoup. Ne pas l'admettre est intrinsèquement choquant.

Ensuite, s'il est vrai que le cumul n'est certes pas le seul motif de l'absentéisme, peut-être même pas le premier, il en reste un, puissant, et l'on mesure chaque jour la difficulté de renforcer une institution parlementaire que ses membres persistent à déserter quand trois jours de présence et de travail effectifs changeraient tout en bien. 

Si, à la rigueur, le cumul pouvait se comprendre dans la France centralisée de jadis, où il mettait un peu de liant entre le centre et la périphérie, il est tout à fait hors de saison depuis que la décentralisation a confié des responsabilités lourdes et éminentes aux élus locaux, lesquels, au demeurant, bénéficient, dans leurs relations avec l'Etat, des facilités de toutes sortes que leur offrent les techniques d'aujourd'hui : on peut contacter un bureau ministériel sans pigeon voyageur ou nuits passées dans un train à vapeur. Ce cumul, enfin, est un désastre politique puisqu'il bloque le renouvellement et la diversité d'un corps électif que menacent le vieillissement, l'homogénéité et, avec eux, la sclérose. 

Plusieurs centaines de parlementaires en situation de cumul, cela signifie plusieurs centaines de mandats, parfois importants, fermés aux femmes, aux jeunes, à la diversité, qui en auraient pourtant grand besoin et nous tous avec eux. Il y a davantage, presque plus grave encore. La tendance est assez naturelle qui conduit chaque élu à se méfier de tout nouveau venu de son propre parti, surtout s'il semble prometteur. Ne va-t-il pas chercher à prendre la place ? Le plus sûr est alors d'occuper soi-même tout le terrain disponible.

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