EcoleUne directrice d’école m’a avertie récemment d’un mail qu’elle avait reçu de « SOS éducation 75″ à propos de l’ouverture, en septembre 2011, d’un établissement « Scolaria Excellence » en partenariat entre Paris et Rouen. Le mail est signé par le porte-parole de « SOS éducation », Vincent Laarman.

Après une longue présentation du parcours personnel et idéologique de David Barbaud ; futur directeur et enseignant très investi au sein de l’association, le mail présente un bilan très alarmiste de l’état actuel de l’Ecole. Selon l’association, depuis 1968 et la « terrible réforme Haby » (selon les termes de David Barbaud), l’école n’instruit plus et ne permet plus la réussite des enfants et au-delà, est à l’origine d’un grand nombre de dépressions des enseignants. Les termes utilisés sont particulièrement explicites : « Le savoir étant devenu d’essence essentiellement bourgeoise, il fallait en débarrasser l’école. Le système ne réussit que trop bien. Nos enfants n’apprennent plus rien de l’instruction solide que nous avons pu acquérir dans notre enfance. »

En réponse à cela, l’association a créé des établissements parallèles indépendants et privés, basés sur de d’autres programmes, dans lesquels l’uniforme sera obligatoire et l’internat vivement conseillé. Le-mail s’achève par une invitation faite aux enseignants volontaires de rejoindre cette initiative ou de la soutenir financièrement.

Ce courrier électronique m’a profondément choquée sur plusieurs aspects.

Sur la forme, je suis scandalisée que « SOS éducation » dispose des adresses mails des directeurs d’école et puisse par ce biais leur faire la promotion de ce type d’établissement. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que « SOS éducation » utilise les données personnelles des enseignants. En 2003 déjà, plusieurs centaines d’entre eux avaient reçu à leur domicile personnel, une enveloppe de « SOS éducation », titrée ainsi : «L’Ecole est en train de mettre en péril l’avenir de milliers d’enfants : IL FAUT AGIR VITE ! ».

Or, la loi du 6 janvier 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, au nom du droit à la vie privée, limite fermement la constitution de fichier et l’envoi d’informations à caractère publicitaire ou politique sans que le destinataire n’y ait consenti. La possession d’un tel fichier par « SOS éducation » est donc parfaitement illicite (cf. : chapitre 2 de la loi de 1978). Au-delà, elle est inquiétante car on connaît les liens très étroits qu’entretient « SOS éducation » avec l’UMP (de nombreux députés soutiennent l’association ainsi que Xavier Darcos, ancien ministre de l’Education nationale) mais aussi avec des mouvements ultralibéraux et d’extrême droite.

Je suis également en désaccord profond avec le discours porté par cette association.

En premier lieu, sur le constat qui est fait quant au service public éducatif actuel, je voudrais relever certaines données faussées. Il n’est pas vrai qu’il y a de moins en moins d’excellents élèves comme voudrait nous le faire croire M. Barbaud ; la preuve en est que les grandes écoles se portent très bien et que le nombre d’élèves atteignant le niveau du Master est en constante hausse.

CrayonsEn second lieu, je ne crois pas que l’on puisse écrire « qu’il n’y a plus de curiosité à l’école ». Les élèves sont, tout au long de leur scolarité primaire et secondaire, amenés à faire recherches et exposés qui développent leur curiosité et nombre d’enseignants font tout ce qui est en leur pouvoir pour organiser des sorties culturelles. Et si internet peut entraîner certains risques, le bilan catastrophique, qui est fait par l’association sur ce nouveau média, omet qu’internet est aussi une bibliothèque géante dont l’intérêt peut être immense pour les élèves, s’ils y ont été correctement familiarisés.

J’indiquerai enfin sur cet état des lieux qu’il est inexact de dire que « les programmes privilégient l’histoire des empires africains, de l’Inde ancienne » et n’enseignent plus rien de l’histoire de France et d’Europe. Cette dernière affirmation, outre son allusion raciste, ne reflète en aucun cas la réalité des programmes proposés en histoire ; qui dès l’école primaire, envisagent toutes les grandes périodes de l’histoire de France.

N’allez pas croire que je considère que tout va pour le mieux ! Je suis profondément convaincue que l’Ecole rencontre une crise. Néanmoins, pour moi, les véritables problèmes sont ailleurs. Ce qui est véritablement alarmant, c’est le nombre d’élèves qui sortent du système scolaire sans diplôme, c’est le nombre d’enfants qui sont à l’école dans un profond mal-être et c’est le nombre d’enseignants qui se sentent impuissants pour aider ces enfants.

Alors je ne crois en aucun cas que « Scolaria Excellence » soit une solution à la crise éducative qui sévit aujourd’hui :

  • C’est une solution très sélective économiquement, dans la mesure où le coût pédagogique pour une année scolaire est de plus de 5 000€ auquel il faut ajouter plus de 7 000€ pour les frais d’internat.
  • Je ne crois pas que d’isoler des élèves des réalités de la société soit un gage de réussite et d’épanouissement. Les « épargner » d’internet, leur faire porter un uniforme ne garantit en rien une intégration professionnelle aisée !
  • Même si l’objectif n’est que la formation d’une élite, je suis persuadée que les élites seront au moins aussi nombreuses et performantes si nous engageons une véritable réforme de l’école.
  • La démocratisation de la réussite permet l’excellence des savoirs et inversement.

Je crois qu’il existe d’autres solutions pour que l’Ecole soit, pour tous, un vecteur d’émancipation et de succès scolaire.

  • Arrêter tout d’abord de fragiliser ce service public par une réduction constante des moyens alloués à l’éducation : 66 000 postes ont été supprimés depuis 2007 et pour la seule année 2011, il est prévu 16 000 suppressions de postes alors que l’on prévoit une hausse des effectifs dans le premier (9000) et le second degré (48 500). On supprime petit à petit toute possibilité d’un suivi individualisé des élèves. Or, il est important que du soutien scolaire puisse avoir lieu pendant les temps scolaires par petits groupes avec des enseignants supplémentaires.
  • Adapter davantage les temps scolaires aux rythmes des enfants. La semaine de 4 jours a démontré son inadaptation tant du point de vue du rythme biologique des enfants que de leurs résultats scolaires. Le samedi matin était un temps d’apprentissage essentiel selon les enseignants. De même, les vacances d’été sont trop longues et les vacances de la Toussaint trop courtes. Des études ont prouvé que deux semaines de coupure toutes les sept semaines permettaient une véritable récupération et atténueraient la fatigue et la violence scolaire.
  • Créer une véritable mixité à l’école. La Cour des comptes l’a parfaitement démontré ; la suppression de la carte scolaire a conduit à une ségrégation sociale et scolaire plus importante. Or, pour la réussite de tous ; il est fondamental d’atteindre un objectif de mixité sociale. Le collège innovant de Clisthène à Bordeaux montre d’ailleurs parfaitement que la mixité sociale est un moyen de réussite.
  • Redéfinir et revaloriser le statut des enseignants et les associer aux réformes. Il est essentiel que les jeunes professeurs bénéficient d’une formation pédagogique conséquente et qu’ils soient sélectionnés sur un concours qui privilégie les compétences de transmission des savoirs et non pas uniquement sur les savoirs théoriques. La motivation des enseignants est essentielle et il est plus que temps de leur faire confiance !
  • Promouvoir davantage de citoyenneté à l’école et plus de responsabilisation des élèves ;
  • Promouvoir les initiatives qui ont été menées dans les collèges et lycées innovants…

En tout état de cause, l’école ne doit pas être une institution d’exception offerte à une certaine élite. Elle doit rester un droit pour tous !