Avant-projet de loi de programmation sur la Transition Energétique : soyons ambitieux !
Dans le cadre de notre travail sur le Titre III de cet avant-projet portant sur la Maîtrise de la demande d’énergie, l’efficacité énergétique et les mesures relatives à certaines catégories de consommateurs, nous avons produit un avis avec quelques-uns de mes collègues députés. Issu d’un travail d’une vingtaine d’auditions, de débats et de rencontres, vous le trouverez- ci-après. Notre ambition est bien celle de porter un projet large, écologique, économique, mais également social. Voici donc les priorités qui devront selon-moi en faire grandement partie.
L’approche de la COP21 à Paris en 2015 nous force à être ambitieux. Ambitieux dans nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ambitieux dans nos objectifs de sortie des énergies fossiles aux ressources finies, ambitieux pour endiguer un réchauffement climatique de 3 à 4% d’ici la fin du siècle. Comme le disait le Président de la République lors de l’ouverture de la Conférence Environnementale, « La transition énergétique n’est pas un choix de circonstances, n’est pas un compromis, n’est pas une négociation. La transition énergétique, c’est une décision stratégique ».
Cette loi de programmation sur la Transition Energétique est donc largement attendue. Attendue par les ONG, les entreprises, les associations qui ont participé aux débats depuis plus d’un an. Attendue par les millions de citoyens qui subissent chaque jour les inégalités sociales que sont les inégalités écologiques.
Cette loi doit donc conserver les deux moteurs indispensables des politiques énergétiques que sont d’une part la réduction de notre consommation énergétique, d’autre part le développement des énergies renouvelables. Réduire la consommation passe par la lutte contre la précarité énergétique, notamment par l’efficacité énergétique et l’aide aux ménages à la maîtrise de leur consommation. Diversifier les sources d’énergies implique de ne pas confondre l’énergie avec la seule énergie électrique.
Les orientations de ce texte, et plus particulièrement de ce titre III, ne peuvent s’exonérer des thématiques déterminantes de la lutte contre la précarité énergétique ou encore des transports durables, y compris dans l’affichage politique.
La transition énergétique comme outil de réduction des inégalités
L’enjeu politique est en effet celui de prendre conscience que la transition énergétique est un outil majeur de la lutte contre les inégalités, que la transition énergétique est un outil essentiel de notre bataille commune pour une meilleure répartition des richesses.
Ce n’est pas au hasard si les plus pauvres sont les plus touchés, ceux-là même qui coupent leur chauffage en hiver par peur de la facture. Une question sociale, mais pas seulement. Ces passoires énergétiques dans lesquelles vivent les plus vulnérables constituent également une priorité si l’on entend bien respecter nos objectifs de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre et de lutte contre le réchauffement climatique.
Entraîner les citoyens dans la transition énergétique, répondre à leurs préoccupations quotidiennes
Outre ces questions de précarité, de lutte contre les inégalités, il s’agit d’entrainer les citoyens dans la démarche et dans le discours porté par une transition énergétique, citoyenne et de gauche.
Pour cela, il nous faut répondre aux préoccupations quotidiennes qui sont les leurs, parler aux consommateurs, à leur mobilité quotidienne, à leur facture énergétique, tant aux ménages qu’aux entreprises, indispensable pour entrainer les citoyens dans la transition énergétique. Parler fiscalité écologique et, dans le même élan, de sa redistribution à destination de ceux qui en ont le plus besoin. Voilà le sens de la résolution portée par le Groupe SRC en juin 2013 sur la fiscalité écologique.
Enfin, parler emploi, parler du potentiel de création d’emplois. Ne pas déserter le champ de la formation professionnelle et s’y préparer, organiser des filières de formation, provoquer les synergies et la collaboration entre les métiers du bâtiment et de l’énergie, tant en matière de formation continue qu’initiale.
N’oublions pas en écrivant cette loi, que le plus gros gisement d’emplois ne sera pas constitué par les millions d’euros à investir dans les Gaz de Schistes, mais dans les millions qui ne seraient alors pas affectés aux secteurs réellement créateurs d’emplois et d’avenir pour notre économie : les énergies renouvelables, leur installation, la maintenance, les nouveaux systèmes de mobilité, la rénovation énergétique du bâti, autant d’emplois locaux massifs et non délocalisables et bénéfiques pour notre environnement.
Priorités et manques du Titre III de l’avant-projet de loi :
1. Mettre l’accent sur la précarité énergétique
Celle-ci doit constituer une priorité visible du projet de loi, priorité cohérente avec la politique globale du gouvernement en matière de lutte contre les inégalités et contre la pauvreté.
L’enjeu de ce texte est de parvenir à mener une politique d’ensemble, une politique qui permette de lutter de front contre les causes et contre les effets de la précarité énergétique : à la fois rénover le parc de logements et soutenir le budget des ménages.
1 ménage sur 6 était touché en 2006 par la précarité énergétique. Les ménages pauvres et modestes consacraient près de 50% de leur budget aux dépenses contraintes que sont le logement, l’énergie, et l’eau.
S’investir et investir dans la lutte contre la précarité énergétique c’est générer à terme :
- des bénéfices sociaux : amélioration des conditions de vie, réponse aux besoins essentiels ;
- des bénéfices environnementaux : les logements les moins performants sont occupés par les personnes les plus précaires et les enjeux de maîtrise des coûts, d’économie d’énergie et de développement des énergies renouvelables y sont majeurs ;
- des bénéfices économiques : économies d’énergie, création d’emplois non délocalisables, réduction des dépenses de santé. 1€ investi pour rendre un logement chauffable, c’est 0,42€ d’économie sur les dépenses de santé selon le récent rapport de Ch.Lindell pour l’OMS en 2009.
Les objectifs du gouvernement sont déjà ambitieux pour combattre les causes de cette précarité. Les mesures prises en 2013 ont permis d’augmenter significativement le nombre des rénovations dans le cadre d’ « Habiter Mieux », mais il s’agit encore d’en accélérer le rythme pour atteindre les objectifs fixés par le Président de la République et donner un horizon raisonnable pour avoir rénover l’ensemble du parc. Les objectifs actuels de rénovation nous ferait atteindre nos objectifs qu’en 2080, d’où la nécessaire accélération.
Autre impératif, autre urgence, celle de cibler les aides à la rénovation vers les plus précaires et non les classes moyennes plus aisées. Faire ceci, c’est aller directement à la rénovation des logements les plus énergivores.
Enfin, après les causes, il nous faut agir par cette loi sur les effets de cette précarité : élargir et se montrer davantage ambitieux sur l’aide aux factures et l’accompagnement des ménages que le seul élargissement des tarifs sociaux, en augmentant le montant des aides et en touchant l’ensemble des énergies, pas uniquement le gaz et l’électricité comme c’est le cas actuellement.
2. Parler emploi, formation professionnelle, parler au quotidien des citoyens
L’amélioration énergétique des logements existants est l’une des rares activités dans lesquelles l’emploi a continué à progresser ces dernières années, alors même que les rénovations étaient en deçà des objectifs. (source : étude ADEME Marchés, emploi et enjeu économique)
L’ADEME estime à 135 000 le nombre d’emplois direct temps plein en 2012 liés à l’amélioration de l’efficacité énergétique dans le résidentiel. Donc avec l’objectif de 500 000 logements, on s’approcherait davantage de 150 000 emplois directs.
3. Parler de la mobilité de demain : un sujet quasi-absent du projet de loi
Le sujet « transports » ne représente que quelques lignes dans le plan qui nous a été transmis et semble ne concerner que les aspects technologiques en donnant pour but à la future loi :
- de fixer des objectifs de développement de la mobilité électrique et hybride
- favoriser les moyens de transport bas carbone
- développer les biocarburants avancés
Or il apparaît que le seul progrès technologique (l’amélioration des objets) ne suffira pas à atteindre le facteur 4 à l’horizon 2050 et que la question de la mobilité doit être appréhendée dans son ensemble en tant que système global. Se retreindre au sujet des véhicules électriques ou hybrides serait manquer d’ambition et de vision de l’avenir.
Qui plus est, la diffusion et l’utilisation des progrès technologiques qui pourraient être réalisés, donc leur efficience, sont soumises eux-mêmes à l’organisation du système de mobilité.
Il en découle plusieurs conséquences à ce stade sur le périmètre que devrait avoir le projet de loi dans le domaine des transports.
Le problème doit être envisagé du point de vue du système de mobilité dans sa globalité afin de l’optimiser :
- En agissant sur l’offre de transports « économe en émissions », transports collectifs, partage de véhicules, modes de déplacements doux, afin de l’adapter à la demande de mobilité. Une fois de plus ce n’est pas l’objet qui est visé mais bien le service offert.
L’offre de transports en commun, les nouvelles solutions telles que le partage d’automobile, partage de taxis, l’intermodalité doivent être favorisés et développés. Face aux coûts et au temps d’amortissement des véhicules électriques pour les particuliers, le partage des usages ou les flottes d’entreprises constituent l’avenir de l’industrie automobile. L’automobile en particulier ne doit plus être envisagée comme un bien de consommation mais comme un service de transport. Il est donc important de ne pas focaliser le débat sur la voiture individuelle, mais bien sur l’usage des véhicules et les besoins de demain.
- Nous devrons également faire en sorte de réduire nos besoins de mobilité par exemple en facilitant le télétravail dans certains cas, ou les modifier en décalant certains horaires (travail, horaires scolaires, ouvertures des commerces et des services publics…). Le but est de déplacer une partie de la demande de transport en dehors des pics d’utilisation de ces services, aux heures où les transports en commun et les routes sont saturées.
- Enfin, les progrès technologiques permettent à demande égale de diminuer les impacts. On le voit donc, ils viennent en appui d’une réflexion globale, mais ne sont pas une solution magique permettant de se dédouaner de tout questionnement plus général.
Ces différents points nous font entrevoir deux enjeux majeurs à prendre en compte lorsque nous envisageons la transition énergétique dans les transports :
- Les nouvelles technologies de l’information et la gestion des données : Pour mieux connaître nos besoins de mobilité afin de mieux y répondre et pour améliorer les services de mobilité et leur adéquation en temps réel à la demande. (« le téléphone, la nouvelle clef des transports ») De tels outils, déjà en cours de développement, posent la question de la protection des données personnelles des utilisateurs des transports, et de leur gestion publique ou privée. Des réponses politiques sont attendues sur ce champ.
- La gouvernance du système de mobilité. Celui-ci devra être multimodal afin de favoriser l’intermodalité puisque nous ne devrons plus appréhender la question en nous focalisant un par un sur chaque mode de transport mais en ayant une vision du système dans son ensemble.
Enfin, il s’agirait de ne pas exclure du champ de la loi le sujet de la logistique, de la réduction de la vitesse autorisée sur les routes, du transport de marchandise et de lutte contre le transport routier à vide, ni celle de l’étalement urbain et de la nécessaire densification des zones urbaines.
4. L’efficacité énergétique, un levier de valeur ajoutée pour les entreprises
Ce projet de loi doit nous permettre d’aborder le sujet de la facture énergétique nationale, ainsi que de celle de nos entreprises quand 88% de notre déficit commercial en 2011 était dû aux importations énergétiques. Le sujet de l’économie circulaire, de la production énergétique par le biais des énergies renouvelables, mais également de la réutilisation des déchets, notamment industriels, à des fins de production d’énergie ne saurait donc être exclu de ce projet de loi.
En parallèle, la question des carnets de commandes des entreprises est importante. Ce sont elles qui aujourd’hui demandent des normes énergétiques claires et ambitieuses, gage de valeur ajoutée pour leur production sur le marché mondial. Des signaux-prix clairs, des signaux-normes ambitieux, des signaux fiscaux stables, voilà ce qui est demandé. Nous prendrons ici l’exemple de la nécessité d’avoir un échéancier clair d’évolution du montant de la contribution climat pour 2020.
Enfin, la Transition Energétique devra s’appuyer sur les entreprises pour avancer. Mais encore faut-il leur donner des signaux, développer les formations, initiales comme continues, et organiser les filières pour préparer ces emplois de demain.
Imprimer l'article | Cette entrée a été postée par Barbara Romagnan le 3 mars 2014 à 19 h 08, et placée dans Développement durable et territorial. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via RSS 2.0 Les commentaires et les pings sont fermés pour l'instant |
Les commentaires sont fermés.