La catastrophe nucléaire de Fukushima ébranle le monde et nos certitudes. La question du nucléaire et plus généralement des choix en matière énergétique se pose avec acuité maintenant à l’ensemble des pays du monde et en particulier à notre pays qui a fait du nucléaire la clé de son indépendance énergétique et un élément central de sa politique industrielle.

Centrale nucléaire de Fukushima

Centrale nucléaire de Fukushima, le 24 mars 2011

L’interrogation concernant le choix nucléaire n’est pas simple ; nous avons sans doute été nombreux à faire confiance aux « gens compétents » pour arbitrer entre les avantages et les inconvénients de cette technologie. Le choix du nucléaire a été fait dans notre pays sans vrai débat mais il était présenté comme le moyen « le plus sûr » de faire face à la hausse du prix des énergies fossiles tout en évitant le rejet d’énorme quantité de gaz à effet de serre. On passait sous silence ses inconvénients : la dépendance en amont de l’uranium étranger et l’absence de solutions efficaces à la nocivité radioactive de ses déchets. Quant aux dangers possibles d’accidents, techniques, climatiques ou terroristes, les spécialistes de sécurité affirmaient de façon catégorique et suffisante que la filière française était « la plus sûre » du monde et que les risques d’accidents graves étaient « hautement improbables » sinon impossibles. Nous avons eu tendance à déléguer notre citoyenneté aux experts sur le sujet.

Nous ne sommes pas des spécialistes et n’avons aucune compétence technique dans ce domaine mais c’est en tant que citoyens responsables que nous nous interrogeons aujourd’hui au moment même où on ne connaît pas encore toutes les conséquences humaines, écologiques et économiques de cette terrible catastrophe nucléaire. Nous ne nous sentons pas « indécents » en nous interrogeant et en formulant ces quelques remarques.

Ce qui était supposé impossible est arrivé brutalement dans la vie quotidienne des Japonais. Le scénario impensable pour les experts est aujourd’hui réalité. La confiance que l’on pouvait accorder à ces responsables hautement qualifiés comme aux politiques qui répétaient leurs affirmations arrogantes, est aujourd’hui largement ébranlée.

Fukushima rappelle au monde, que le risque nucléaire est spécifique, qu’il a un caractère absolu qui annule les calculs de probabilités. Ce n’est pas la comparaison du nombre de morts avec les autres type d’énergie qui doit être prise en compte mais le caractère irrémédiable d’un accident même si il a très peu de chance de se produire. Les scientifiques disent qu’il faut plus de 150 000 ans pour que le plutonium produit par les centrales perde sa radioactivité! D’ores et déjà, au delà des dégâts irréparables du périmètre proche de la centrale, les rejets dans l’atmosphère polluent l’océan pacifique et vont affecter l’ensemble de la chaîne alimentaire.

L’angoisse et la peur conjuguées à la défiance des élites, qui ont cautionnés ces choix, risquent de renforcer durablement un populisme dangereux pour la démocratie et favoriser tous les extrémismes.

Cette catastrophe met au jour l’urgence d’une réponse politique face à l’inquiétude et à la suspicion généralisée. C’est le rôle du débat dans une société démocratique. Le choix du nucléaire comme celui de la politique énergétique parce qu’il engage notre vie quotidienne, les générations futures, notre rapport à la planète, relève de notre responsabilité d’êtres humains et de citoyens : c’est un choix profondément politique.

Centrale nucléaireLa fin de la culture du secret est aujourd’hui un impératif minimum. Il est aussi urgent d’ouvrir, en France et en Europe, un grand débat associant très largement les citoyens car c’est à eux à définir les priorités, les choix et le sens à donner à une politique de l’énergie.

Les propositions du Parti socialiste demandant un audit indépendant du parc nucléaire, l’arrêt des centrales vieillissantes en cas de risque, le moratoire sur l’extension des capacités nucléaires, la réduction de la part du nucléaire dans le bouquet énergétique, la condamnation de l’abandon des aides à la filière photovoltaïque nous semblent une première réponse.

Certes, on ne peut abandonner du jour au lendemain cette énergie en raison de son poids déterminant dans la production de l’électricité. Il faut assumer l’héritage et continuer à gérer les stocks des déchets en évitant toute situation irréversible mais il faut clairement dès à présent envisager la sortie du nucléaire.

On peut, en effet, considérer que cette technologie est non seulement dangereuse mais attachée à un modèle de développement et un mode de vie aujourd’hui que nous devons remettre en cause. Le nucléaire est dans sa conception, centralisé, hiérarchisé, tourné vers le gigantisme. Il représente par nature un danger spécifique qui nécessite un dispositif très lourd de gestion et de contrôle peu compatible avec la démocratie. L’énergie nucléaire est liée à une conception inépuisable et illimitée de l’énergie, à une société productiviste reposant sur l’ hyperconsommation des objets. Il représente un modèle de la démesure non généralisable sur la planète et qui ne répond pas à ses défis actuels.

Aujourd’hui, l’avenir n’est-il pas au contraire aux ressources décentralisées, diversifiées et complémentaires proche des territoires ? Un modèle plus souple, plus économe, plus démocratique…

Dans une thèse récente, un collectif d’ingénieurs et d’économistes adeptes du « négaWatt » affirme que l’on peut se passer de nucléaire à l’horizon 2050 tout en diminuant notre dépendance aux énergies fossiles et en limitant les émissions de carbone. Une solution semble donc exister : sobriété, efficacité, montée en puissance des énergies renouvelables.

Barbara Romagnan et Marcel Ferreol