Après la catastrophe nucléaire de Fukushima : l’urgence d’un débat démocratique.
La catastrophe nucléaire de Fukushima ébranle le monde et nos certitudes. La question du nucléaire et plus généralement des choix en matière énergétique se pose avec acuité maintenant à l’ensemble des pays du monde et en particulier à notre pays qui a fait du nucléaire la clé de son indépendance énergétique et un élément central de sa politique industrielle.
L’interrogation concernant le choix nucléaire n’est pas simple ; nous avons sans doute été nombreux à faire confiance aux « gens compétents » pour arbitrer entre les avantages et les inconvénients de cette technologie. Le choix du nucléaire a été fait dans notre pays sans vrai débat mais il était présenté comme le moyen « le plus sûr » de faire face à la hausse du prix des énergies fossiles tout en évitant le rejet d’énorme quantité de gaz à effet de serre. On passait sous silence ses inconvénients : la dépendance en amont de l’uranium étranger et l’absence de solutions efficaces à la nocivité radioactive de ses déchets. Quant aux dangers possibles d’accidents, techniques, climatiques ou terroristes, les spécialistes de sécurité affirmaient de façon catégorique et suffisante que la filière française était « la plus sûre » du monde et que les risques d’accidents graves étaient « hautement improbables » sinon impossibles. Nous avons eu tendance à déléguer notre citoyenneté aux experts sur le sujet.
Nous ne sommes pas des spécialistes et n’avons aucune compétence technique dans ce domaine mais c’est en tant que citoyens responsables que nous nous interrogeons aujourd’hui au moment même où on ne connaît pas encore toutes les conséquences humaines, écologiques et économiques de cette terrible catastrophe nucléaire. Nous ne nous sentons pas « indécents » en nous interrogeant et en formulant ces quelques remarques.
Ce qui était supposé impossible est arrivé brutalement dans la vie quotidienne des Japonais. Le scénario impensable pour les experts est aujourd’hui réalité. La confiance que l’on pouvait accorder à ces responsables hautement qualifiés comme aux politiques qui répétaient leurs affirmations arrogantes, est aujourd’hui largement ébranlée.
Fukushima rappelle au monde, que le risque nucléaire est spécifique, qu’il a un caractère absolu qui annule les calculs de probabilités. Ce n’est pas la comparaison du nombre de morts avec les autres type d’énergie qui doit être prise en compte mais le caractère irrémédiable d’un accident même si il a très peu de chance de se produire. Les scientifiques disent qu’il faut plus de 150 000 ans pour que le plutonium produit par les centrales perde sa radioactivité! D’ores et déjà, au delà des dégâts irréparables du périmètre proche de la centrale, les rejets dans l’atmosphère polluent l’océan pacifique et vont affecter l’ensemble de la chaîne alimentaire.
L’angoisse et la peur conjuguées à la défiance des élites, qui ont cautionnés ces choix, risquent de renforcer durablement un populisme dangereux pour la démocratie et favoriser tous les extrémismes.
Cette catastrophe met au jour l’urgence d’une réponse politique face à l’inquiétude et à la suspicion généralisée. C’est le rôle du débat dans une société démocratique. Le choix du nucléaire comme celui de la politique énergétique parce qu’il engage notre vie quotidienne, les générations futures, notre rapport à la planète, relève de notre responsabilité d’êtres humains et de citoyens : c’est un choix profondément politique.
La fin de la culture du secret est aujourd’hui un impératif minimum. Il est aussi urgent d’ouvrir, en France et en Europe, un grand débat associant très largement les citoyens car c’est à eux à définir les priorités, les choix et le sens à donner à une politique de l’énergie.
Les propositions du Parti socialiste demandant un audit indépendant du parc nucléaire, l’arrêt des centrales vieillissantes en cas de risque, le moratoire sur l’extension des capacités nucléaires, la réduction de la part du nucléaire dans le bouquet énergétique, la condamnation de l’abandon des aides à la filière photovoltaïque nous semblent une première réponse.
Certes, on ne peut abandonner du jour au lendemain cette énergie en raison de son poids déterminant dans la production de l’électricité. Il faut assumer l’héritage et continuer à gérer les stocks des déchets en évitant toute situation irréversible mais il faut clairement dès à présent envisager la sortie du nucléaire.
On peut, en effet, considérer que cette technologie est non seulement dangereuse mais attachée à un modèle de développement et un mode de vie aujourd’hui que nous devons remettre en cause. Le nucléaire est dans sa conception, centralisé, hiérarchisé, tourné vers le gigantisme. Il représente par nature un danger spécifique qui nécessite un dispositif très lourd de gestion et de contrôle peu compatible avec la démocratie. L’énergie nucléaire est liée à une conception inépuisable et illimitée de l’énergie, à une société productiviste reposant sur l’ hyperconsommation des objets. Il représente un modèle de la démesure non généralisable sur la planète et qui ne répond pas à ses défis actuels.
Aujourd’hui, l’avenir n’est-il pas au contraire aux ressources décentralisées, diversifiées et complémentaires proche des territoires ? Un modèle plus souple, plus économe, plus démocratique…
Dans une thèse récente, un collectif d’ingénieurs et d’économistes adeptes du « négaWatt » affirme que l’on peut se passer de nucléaire à l’horizon 2050 tout en diminuant notre dépendance aux énergies fossiles et en limitant les émissions de carbone. Une solution semble donc exister : sobriété, efficacité, montée en puissance des énergies renouvelables.
Barbara Romagnan et Marcel Ferreol
Imprimer l'article | Cette entrée a été postée par Barbara Romagnan le 24 mars 2011 à 0 h 05, et placée dans Développement durable et territorial. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via RSS 2.0 Les commentaires et les pings sont fermés pour l'instant |
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about 4 years ago
Un grand bonjour à Marcel Ferreol que j’ai connu comme prof d’ éducation socio-culturellme au lycée agricole de Dannemarie/Crête entre septembre 1980 et juin 1983.
Amitiés socialistes à tous les deux.
Jean-Paul PERDREAU
DRAAF-SRFD Bourgogne
about 4 years ago
Salut Jean-Paul, ça fait plaisir de te retrouver….sur ce blog!
En espérant te croiser à Dijon un de ces jours.
Marcel FERREOL
about 4 years ago
Un audit de la centrale de FUKUSHIMA effectué il y a un mois aurait conclu qu’elle répondait aux normes de sécurité (et peut être même au-delà).
La sécurité est garantie jusqu’à certaines limites. Le problème vient de ce qu’il se passe lorsqu’un évènement nous fait sortir de ces limites. Ce n’est plus un problème de techniciens, ni de compétences car on est hors de leur champ d’intervention.
Quels sont les risques encourus et qu’elle est la population soumise à ces risques ?
Qui prend la responsabilité de faire courir ces risques à cette population ?
Qui assume cette responsabilité ?
Qui, en amont, décide de qui décide ?
Je crois important qu’il y ait une totale transparence au niveau des décideurs, qu’on sache qui doit rendre des comptes.
J’ai vu sur la chaîne NHK, un vieux professeur, respectable, spécialiste du nucléaire, expliquer que la centrale n’était pas en cause car elle était conçue pour résister à des tremblements de terre pouvant aller jusqu’à 8.2 sur l’échelle de Richter, ainsi qu’à des vagues de tsunamis ne dépassant pas 10 mètres.
Il y a donc bien eu quelqu’un (ou un processus de décision) qui a décidé qu’en cas de seisme supérieur à 8.2 et de vagues supérieures à 10 mètres, le pays allait devoir faire face non seulement à une catastrophe naturelle majeure mais en plus à un risque de catastrophe nucléaire !!
Nous sommes en droit de savoir à qui on doit cela, me semble-t’il.
Du point de vue de l’Humanité (et non d’un point de vue juridique), le Japon avait-il le droit de construire FUKUSHIMA ?
Cordialement
Gilles HUBERT
about 4 years ago
Très intéressant ce texte ce texte! L’étude « negawatt » paraît intéressante et .sérieuse.Je me permets de rajouter un élément, suite à un reportage écouté récemment sur France inter, concernant les travailleurs du nucléaire français EDF soustraitant la maintenance de ses centrales,ce sont beaucoup des intérimaires qui, entre autres ne bénéficie pas d’un suivi médical sur le long terme alors qu’ils prennent des risques importants.Outre que cela fait apparaître les priorités d »EDF,je trouve cette non reconnaissance de ce travail difficile scandaleuse, un scandale rarement dénoncé y compris par les organisations syndicales.
about 4 years ago
Et en plus des incidents dans les centrales nucléaires françaises, il y en a très souvent, mais on ne nous en parle jamais.