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Socialistes, notre parti est-il encore celui des libertés ?

Cher Rachid, cher camarade coordinateur du PS,

Alors qu’en juillet les sénateurs socialistes avaient voté contre le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, il ne s’est trouvé aucun député socialiste pour s’y opposer en octobre. Certes, le texte a été modifié dans un sens qu’on peut qualifier de « moins pire », mais fondamentalement cela ne change rien à son esprit.

Comme je l’ai déjà exprimé à de nombreuses reprises, également très récemment, je trouve ce choix désastreux. C’est également la position de toutes les associations qui défendent les libertés et les droits humains. La Ligue des Droits de l’Homme, Amnesty International, le Syndicat des Avocats de France, le Syndicat de la Magistrature, la Quadrature du Net, la Cimade, Jacques Toubon le défendeur des droits… jugent très dangereuse la dérive sécuritaire à laquelle cède la France. Même les experts des droits de l’homme mandatés par l’ONU  écrivent  que «  plusieurs dispositions du projet de loi menacent l’exercice des droits à la liberté et à la sécurité personnelle, le droit d’accès à la justice, et les libertés de circulation, d’assemblées pacifique et d’association, ainsi que d’expression, de religion ou de conviction ». Christine Lazerges, la Présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme alertait dans un entretien récent à Médiapart : «  Si ce projet de loi est adopté et que l’extrême-droite arrive un jour au pouvoir, la France sera dans une situation extrêmement difficile en matière de libertés. Un tel pouvoir n’aurait absolument rien à ajouter à ce texte. »

Il ne s’agit pas ici, « seulement » de prolonger une énième fois un texte qui met entre parenthèses les libertés publiques. Je m’y suis opposée dès le 19 novembre 2015, mais admettons que ce texte et ses prolongations aient été utiles et nécessaires. Ce qui a été validé ici c’est une intégration de dispositions dérogatoires à l’Etat de droit dans la loi commune. Pour un Parti qui se dit social-DÉMOCRATE cela pose problème, sans parler du paradoxe qu’il y a à nous priver nous-mêmes de nos libertés, au nom de ces mêmes libertés visées par les terroristes.

Mais les parlementaires ne se confondent pas avec le Parti. Tu n’étais pas encore sénateur au moment du vote et je ne crois pas t’avoir entendu t’exprimer sur le sujet. De toute façon, c’est en tant que nouveau coordinateur du PS que je t’écris. Tu as accepté une responsabilité très lourde. Relever le Parti socialiste est une tâche aussi nécessaire que difficile. Je ne sais pas si elle est possible, mais à mon sens elle est perdue d’avance si l’on ne se confronte pas à ces questions essentielles. Quand je dis essentielles, c’est au sens premier du terme. La réponse que l’on apporte à ces questions des libertés, de l’État de droit, de la démocratie ne suffisent pas à définir le socialisme et nous n’en avons pas l’apanage. Mais, si elles sont insuffisantes, elles en sont néanmoins la condition indispensable.

Or, de ce sujet il n’est nullement question au PS : ni au bureau national (instance exécutive du Parti), ni au CN (parlement du Parti). En tout cas, je n’ai trouvé nulle part un communiqué indiquant ce que notre parti pensait de ce texte. Il n’y en a pas trace non plus dans les questionnaires envoyés aux militants pour la refondation du PS. Je ne veux pas diminuer l’importance des questions posées (veut-on faire du porte à porte où nous ouvrir à la société ? … ), mais j’avoue les trouver dérisoires au regard des questions qui nous sont posées par ce texte de loi.

Les parlementaires vont à nouveau devoir se prononcer sur la version définitive du texte, aujourd’hui mercredi 11 octobre à l’AN, mercredi 18 octobre au Sénat. Le Parti socialiste doit avoir quelque chose à dire. Nous sommes un parti politique, pas une association de loisirs qui veille à ménager la chèvre et le chou pour que les parties de cartes ou de boules se passent dans une ambiance sympathique (quoi que l’ambiance sympathique ne soit pas à négliger…). Parce que quand on aspire à refonder il peut être utile de se référer aux fondateurs, j’invoquerais Léon Blum s’exprimant à propos des « lois scélérates » de 1893-94 : « Tout le monde avoue que de telles lois n’auraient jamais dû être nos lois, les lois d’une nation républicaine, d’une nation civilisée, d’une nation probe. Elles suent la tyrannie, la barbarie et le mensonge. Tout le monde le sait, tout le monde le reconnaît ; ceux qui l’ont votée l’avouaient eux-mêmes. » Bien que 120 ans se soient écoulés, je trouve que ses propos raisonnent particulièrement dans le contexte actuel. Dans tous les cas, ils peuvent nous aider à réfléchir. Enfin, au moment de la refondation socialiste des années soixante-dix autour de François Mitterrand et Robert Badinter, cette question des libertés avait été portée haut. Cette question avait donné lieu à un colloque et à un livre, Liberté, Libertés, publié en 1976. Le parallèle est particulièrement cruel pour les socialistes d’aujourd’hui.

Je suis une militante socialiste, adhérente depuis 23 ans, très en colère. En colère que mon parti ne prenne pas une position défendant clairement les libertés et la démocratie et rompe ainsi avec son histoire et sa philosophie. Je suis aussi une citoyenne très inquiète de l’indifférence qui semble dominer dans la société sur ces questions fondamentales de libertés, mais aussi du traitement des étrangers, des musulmans, plus généralement du traitement des plus fragiles qu’ils viennent de France ou qu’ils viennent en France pour trouver du secours. Cette indifférence ou cette acceptation nous en sommes largement responsables nous socialistes. Après avoir banalisé l’état d’urgence, à l’initiative du président de la République François Hollande, parfaitement assisté dans cette tâche par son premier ministre Manuel Valls, nous avons mis à l’ordre du jour un débat indigne sur la déchéance de nationalité. Cette mesure, à défaut de pouvoir être définie comme raciste stricto-sensu, entretient dans la société des préjugés qui opposent les gens les uns aux autres, en fonction de leur origine. Quel sera notre prochain renoncement ? Le vote de la loi Collomb qui remet fondamentalement en cause le droit d’asile en proposant de renvoyer des personnes nous demandant assistance, dans un pays en dehors de l’Union européenne, par lequel ils seront passés, sans même étudier leur situation ?

Il est temps que le Parti socialiste se saisisse du débat sur nos valeurs de base, avec la société engagée, les chercheurs experts de ces questions, ses militants et ses militantes. De même nous avons à reprendre la réflexion sur l’articulation entre liberté et sécurité. Nous ne sommes pas condamnés à épouser les théories sécuritaires de la droite la plus dure, quand ce ne sont pas celles de l’extreme-droite, fussent-elles portées par certains de nos anciens camarades. Nos principes sont faits pour durer. Nous avons à les porter singulièrement dans ces périodes de peur où ils sont durement éprouvés.

Cher Rachid, cher camarade, notre Parti a peu de temps pour se ressaisir sur ses valeurs fondamentales. Dans l’attente de ta réponse, reçois mes salutations aussi inquiètes que cordiales.

Barbara Romagnan

Cet article comporte 1 commentaire
  1. Merci Barbara pour ce texte remarquable de lucidité. J’ai quitté il y a déjà quelques temps notre parti dont la fédération du Rhône me donnait à penser que tout était perdu, mais je reste toutefois fermement attaché aux valeurs du socialisme. Merci Barbara et à bientôt dans ta prochaine lettre.

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