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Procès des Femen : la justice ne reconnait toujours pas la nudité politique

Femen Proces Tribunal De Paris 4965079

Le 31 mai dernier, quatre militantes Femen comparaissaient au tribunal correctionnel de Paris pour « exhibition sexuelle » lors de deux actions menées la poitrine dénudée fin 2016. Elles sont poursuivies par le parquet pour avoir manifesté à Paris, seins nus, le 16 octobre 2016, contre les opposants au mariage homosexuel en marge de la Manif pour tous. Trois Femen sont également jugées pour avoir tenté de se menotter aux grilles du Palais de justice le 25 novembre en signe de solidarité avec Jacqueline Sauvage. Ce n’est pas la première fois qu’elles sont poursuivies pour ces raisons, depuis trois ans les exemples se multiplient. Chose troublante toutefois, elles seules font les frais d’une application contestable et partiale du délit d’exhibition sexuelle. Saluant la prise de position de la nouvelle secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, je m’interroge sur une criminalisation qui semble bien unilatérale.

Cette criminalisation persistante des corps féminins dans l’espace public est préoccupante. Pour ne prendre qu’un exemple très récent, datant du 27 mai dernier, des policiers municipaux ont demandé à des femmes en bikini dans les jardins publics de Paris de se rhabiller. Ils étaient alors dans leur bon droit puisqu’ils s’appuyaient sur des arrêtés et règlements municipaux. Cette criminalisation des seuls corps féminins semblent néanmoins constituer une rupture d’égalité importante entre les femmes et les hommes. Comme l’a très bien exprimé Marlène Schiappa cela traduit une « sexualisation systématique de la nudité féminine et [un] contrôle social du corps qui l’accompagne ». En effet, quand des hommes prennent la même initiative, ils ne peuvent pas être condamnés, simplement parce que le droit ne prévoit pas que le dénudement de leur torse constitue une agression sexuelle. En cela, le Code pénal, au travers du délit d’exhibition sexuelle, ainsi que nombre de réglementations, traitent inégalement les hommes les femmes, en prêtant aux torses des femmes une dimension nécessairement sexuelle.

Dans le cas des Femen la criminalisation de leurs poitrines est d’autant plus préoccupante qu’elle ne repose par sur un simple rappel à la loi. Elles sont convoquées et parfois condamnées pour ce motif. Les Femen sont ainsi qualifiées de délinquantes sexuelles (voire de prédatrices sexuelles), parce qu’elles ont protesté torse-nu. Cette condamnation relève dans le Code pénal de la section consacrée aux agressions sexuelles, au même titre que le viol ou l’attouchement sexuel. A ce titre, elle peut même impliquer des restrictions importantes, telles que l’interdiction de se trouver à proximité d’écoles ou en présence d’enfants. Or l’amalgame ainsi établi entre des militantes politiques et des délinquants sexuels est juridiquement infondé et humainement insupportable.

Mais ce traitement différencié des femmes et des hommes devant la loi n’affecte pas seulement l’égalité ; il constitue une entrave directe à la liberté des personnes, et notamment à celle de manifester. En effet, en appliquant des règles propres aux femmes, le code pénal opère une restriction notable des modalités de leur liberté d’expression. On peut naturellement débattre des causes que les militantes Femen défendent, ou des modalités qu’elles ont choisies pour le faire; il n’en reste pas moins que les femmes ne disposent pas des mêmes droits que les hommes en matière de nudité politique. De fait, la loi induit aujourd’hui que leur nudité est nécessairement sexuelle, excluant que ces militantes puissent y donner un autre sens, en l’occurence ici, purement politique. Pourtant, la nudité politique n’est pas née avec les militantes Femen et n’a jusqu’alors jamais fait l’objet d’une telle condamnation. Par exemple, les intermittent.e.s du spectacle et le collectif Kamyapoil qui, totalement dévêtus, ont interpellé l’ancienne ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, sur la réforme de leur statut en juin 2014 et les membres des Hommen, mouvement masculin non mixte issu de la Manif pour tous, qui à l’instar de Femen, milite torse nu, n’ont pas été poursuivis pour «exhibition sexuelle». On ne peut s’empêcher alors de dénoter une certaine hypocrisie dans l’application de ce délit puisqu’il ne semble finalement viser que des féministes, militant précisément pour la libération et la libre disposition de leurs corps.

Souvent évoqué, l’argument de la pudeur ou de l’outrance pose également problème lorsque l’on considère la régularité avec laquelle la publicité recourt à la nudité – des femmes presque toujours – à des fins commerciales. Les différents supports utilisés occupent aussi bien l’espace public que les canaux télévisés ou radiophoniques à des heures de grande écoute, sans distinction d’âge. A la différence des militantes Femen, nombre de messages publicitaires jouent explicitement le registre sexuel. Des corps dénudés s’affichent également régulièrement à Cannes — pour citer un exemple d’actualité —, sur le tapis rouge, mais ne suscitent pas la même réprobation, précisément parce que le « glamour » et la représentation artistique ne sont pas, et ne doivent pas être, assimilés à une agression sexuelle.

Quelqu’en soient les raisons, nous devons donc nous interroger sur cette criminalisation à sens unique. Je souhaite ainsi leur apporter mon soutien, et vous invite à signer la pétition demandant leur relaxe. Nous ne devons toutefois pas nous arrêter à leur seul cas. Il semble ainsi justifié que l’on s’emploie autant que possible à changer cette loi discriminante, comme législateurs, comme socialistes et féministes, pour garantir la liberté d’expression et porter l’égalité.

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