Loi Sapin 2 : des outils pour la transparence de la vie publique et économique
En 2000, la France avait signé la convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption transnationale. Depuis 2000, aucune condamnation de ce type n’a été prononcée, faute de moyens juridiques et humains. Or il y a urgence à agir, car la France fait partie des dernières grandes démocraties à ne pas disposer de définition explicite du lobbying, ni de moyens suffisants pour la détection des pratiques de corruption. Des pays comme les Etats-Unis connaissent actuellement près de 100 procédures qui ont pu aboutir à des condamnations. Plus près de nous, en Allemagne, 50 condamnations ont été prononcées. Notre système judiciaire peine à agir dans ce domaine.
Depuis lundi 6 juin, l’Assemblée examine le texte de loi relatif à la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation, dit « Sapin 2 ». Partant du constat que nous échouons actuellement à lutter efficacement contre les nouvelles formes de corruption – à l’international notamment –, de même qu’à protéger les personnes dites « lanceurs d’alerte », le projet de loi s’est donné pour objet d’une part d’adapter les instruments d’enquête et de régulation aux pratiques actuelles, d’autre part de faire évoluer le corpus juridique à disposition.
Ce développement de l’arsenal législatif s’inscrit dans le cadre des textes déjà votés depuis le début du quinquennat, et notamment la loi sur la transparence de la vie publique adoptée en octobre 2013. Ce texte de loi a notamment permis de donner une définition du conflit d’intérêt qui constitue désormais « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ». Cette loi montre ainsi qu’à condition de qualifier juridiquement les faits et d’allouer des moyens réalistes pour les combattre, des progrès sont possibles dans ce domaine. La loi dite « Sapin 2 » contribue à compléter ces outils pour favoriser la transparence et lutter contre la corruption.
Assurer plus de transparence : protéger les lanceurs d’alerte, encadrer le lobbying
Sur le volet de la transparence, le texte de loi comporte plusieurs nouveautés. Tout d’abord des dispositifs motivés par le souci de mieux protéger les lanceurs d’alerte, au travers notamment d’un statut garanti par une définition et un socle de droits commun à tous les secteurs pouvant faire l’objet de dénonciation. Il s’agissait en effet de préciser les particularités du lanceur d’alerte, qui diffère par exemple de pratiques telles que l’information contre rémunération. Du fait du caractère désintéressé de son acte de dénonciation, le lanceur d’alerte se singularise d’autres formes de renseignement et vise le bien de la collectivité. Pour des raisons de sécurité, ce statut garantira donc son anonymat, et prévoit également qu’un soutien financier puisse lui être apporté car l’expérience démontre que la question des frais de justice constitue un frein majeur à la dénonciation d’actes répréhensibles. Ce soutien financier pourra également, le cas échéant, contribuer à réparer les dommages subis.
La question de la transparence se pose également pour les représentants d’intérêts auprès des élus ou des membres d’exécutifs, autrement dit les activités de lobbying. La loi Sapin 2 prévoit qu’un répertoire sera établi afin de recenser toutes les personnes chargées de représenter des intérêts auprès d’élus aussi bien nationaux que locaux, des membres du Gouvernement, de même qu’auprès des hauts fonctionnaires. Ce répertoire sera tenu et mis à jour par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui établira une charte d’obligations déontologiques portant notamment sur la transmission d’informations et réglementant la pratique des cadeaux, dont la valeur sera désormais limitée.
La transparence en matière financière recouvre également la rémunération des dirigeants d’entreprises. Le projet de loi donnera un caractère contraignant au vote de l’assemblée générale des actionnaires sur la rémunération des dirigeants d’entreprises privées. Cette mesure fait écho à l’épisode récent de la limitation de la rémunération du PDG de Renault Carlos Ghosn par l’assemblée des actionnaires. Elle s’inscrit en outre dans le cadre de la limitation depuis 2013 à 450 000 euros annuels les rémunérations des dirigeants d’entreprises dans lesquelles l’Etat est actionnaire majoritaire. Toutefois, cette mesure n’est pas sans ouvrir un débat concernant la conception de l’entreprise, car si elle peut sembler de nature à réglementer la rémunération des dirigeants, il n’en reste pas moins qu’elle contribue à renforcer la légitimité des actionnaires à intervenir dans la vie de l’entreprise. Une conception plus démocratique voudrait que l’on renforce la position des salariés, qui sont majoritaires au sein de l’entreprise.
Enfin, le projet de loi consacre une attention particulière aux secteurs agricole et agroalimentaire, en mettant l’accent sur une transparence accrue de la chaîne de production afin de favoriser une répartition plus équitable de la valeur ajoutée. Il s’agit notamment d’interdire la revente des contrats de vente de lait qui permettant actuellement une spéculation qui conduit à la marchandisation du secteur.
Lutter contre la corruption : la création d’une Agence française anticorruption (AFA)
En 2013, la France a été classée 22ème sur 177 par l’ONG Transparency international, dont l’objet est de favoriser la transparence de la vie publique et économique. Afin de répondre aux enjeux en la matière, le projet de loi transforme l’actuel Service central de prévention de la corruption (SCPC) en une Agence française anticorruption, dont les effectifs seront augmentés (passant de 16 personnes à 70), et le budget étendu (entre 10 et 15 millions d’euros). Cette agence sera placée sous l’autorité des ministres de la Justice et des Finances mais bénéficiera d’une indépendance de fonctionnement, et aura à sa tête un magistrat nommé par le Président de la République pour un mandat de 6 ans non renouvelable.
La déclinaison de la lutte contre la corruption dans la sphère économique a pris la forme d’un dispositif concernant les grandes entreprises (celles comptant plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires et supérieur à 100 millions d’euros). Celles-ci seront désormais contraintes de mettre en place des procédures de détection des faits de corruption, qui seront contrôlés par l’Agence française de corruption. En cas de manquement, l’Agence pourra infliger des amendes allant jusqu’à 1 million d’euros pour une entreprise et 200 000 euros pour des personnes physiques. Elle pourra en outre rendre publiques les sanctions.
Le projet de loi a également pris en compte la dimension internationale de la lutte contre la corruption, qui permet souvent aux personnes soupçonnées de corruption d’échapper aux contrôles et donc aux sanctions. Pour cela, le projet de loi prévoit la suppression du monopole du parquet pour poursuivre les faits de corruption d’agent public étrangers commis à l’étranger. Autrement dit, des poursuites pourront être engagées à la suite d’un dépôt de plainte d’une association ayant intérêt à agir. Cette mesure constituait une revendication ancienne d’ONG telles qu’Anticor ou Transparency International, qui du fait de leurs activités constatent de nombreux manquements à la législation sans pouvoir engager de poursuites.
Enfin, la loi prévoit qu’une peine d’inéligibilité sera prononcée automatiquement à l’encontre des personnes condamnées pour atteinte à la probité, (c’est-à-dire pour corruption, prise illégale d’intérêt, rupture d’égalité entre des candidats à un marché public, détournement de bien, etc.)
Les apports du travail parlementaire en commission des lois : le cas du reporting
L’examen du texte par la commission des lois a également permis l’ajout de mesures complémentaires, notamment la mise en place d’un reporting pays par pays des entreprises dont le chiffre d’affaire excède 750 000 millions d’euros. Cette mesure, calquée sur une directive européenne actuellement en discussion, contraint les entreprises à publier pays par pays leurs résultats économiques et financiers, de même que l’impôt dont ils s’acquittent. Actuellement, il est impossible de savoir par exemple combien Total réalise de chiffre d’affaire et de bénéfice dans les pays dans lesquels il est implanté, de même que le montant des impôts qu’il y paye. L’objet du reporting est de permettre un accès public à ces données, condition essentielle à la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale. Le seuil retenu pour cibler les entreprises faisant l’objet de ce reporting fait néanmoins débat, certaines associations estimant qu’il laisse en l’état trop d’entreprises hors du dispositif.
Accusé de fragiliser les entreprises, le reporting est combattu par les organisations patronales et les grandes entreprises au motif qu’il divulguerait des informations susceptibles de rendre moins concurrentielles les entreprises en faisant l’objet. C’est la raison pour laquelle cette mesure tarde à être votée dans les différents pays. S’il était adopté dans le cadre du projet de loi, un tel dispositif ferait de la France le premier pays à se doter d’un tel système, car la directive européenne actuellement en discussion n’entrerait en vigueur qu’en 2017. Par ailleurs, cette directive européenne a prévu de limiter le reporting à certains secteurs stratégiques, comme l’énergie, quand le dispositif déposé en amendement par mes collègues de la commission des lois a étendu son périmètre à d’autres secteurs.
Le débat sur le reporting résume à lui seul le parcours des mesures de transparence de la vie publique et de l’économie : elles se heurtent à des nombreux conservatismes et, paradoxalement, à certains lobbies. Nous devons veiller à ce qu’elles soient suffisamment volontaires pour être suivies d’effets concrets, car toutes les études le montrent, la confiance des citoyens dans les institutions publiques – notamment celles chargées de les représenter – diminue régulièrement. Dans ce contexte, le projet de loi actuellement débattu en séance me semble constituer un point de départ intéressant sur nombre de sujets.