L’abandon des détenus souffrant de troubles mentaux en France
Il est des sujets qui ne semblent jamais faire partie du débat public, qui ne font jamais le « buzz ». Il est des personnes auxquelles on ne s’intéresse guère, qui ne sont pas traitées comme si elles faisaient partie de notre société. C’est notamment le cas des personnes détenues, c’est aussi souvent la situation des personnes connaissant des troubles mentaux. Inutile de dire que quand elles cumulent les deux, la situation est pire. Pourtant, aujourd’hui, je souhaite souligner la décision de la Cour européenne des Droits de l’Homme qui est venue une nouvelle fois condamner la France en vertu de ses conditions de détentions et qui par là même reconnaît la dignité de toute personne humaine.
Dans une decision rendue jeudi 23 février 2012, la Cour de Strasbourg a en effet sanctionné le défaut d’un suivi psychiatrique constant entre 2005 et 2009 à un détenu souffrant de schizophrénie ayant entrainé une deterioration significative de son état de santé.
Elle a qualifié cette alternance de périodes d’incarcération et de courts séjours en centre psychiatrique de traitement dégradant ou inhumain et par suite a condamné la France pour violation des stipulations de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
La Cour condamne ici la France uniquement pour ce cas précis insistant notamment sur la gravité de la pathologie, sur le danger que représentait le requérant pour les autres et pour lui-même et sur les caractéristiques locales du lieu de détention en cause.
Toutefois, cette décision de justice devrait, à mon sens, retentir comme une véritable sonnette d’alarme. On ne peut aujourdhui nier l’urgence de s’emparer d’une telle question sociétale. Le dernier rapport publié par le Sénat, intitulé « Prisons et troubles mentaux, comment remédier aux dérives du système français », comporte en effet un paragraphe intitulé comme suit : « Un constat alarmant : un grand nombre de détenus souffrent de troubles mentaux sans être pris en charge dans de bonnes conditions. » Nous sommes, par ailleurs, soumis à de fermes obligations européennes puisque les Règles pénitentiaires européennes de 2006 (Recommandation REC(2006)2), mentionnent que les détenus souffrant de troubles mentaux graves doivent pouvoir être placés et soignés dans un service hospitalier doté de l’équipement adéquat et disposant d’un personnel qualifié.
Pourtant, la situation s’est largement détériorée ces 5 dernières années. Ainsi, ce que la Cour condamne, à travers cet arrêt, c’est l’abandon par les autorités françaises de l’engagement d’une politique qui viendrait répondre à la misère à laquelle sont confrontés les détenus eux-mêmes, mais aussi les autres détenus et les personnels de ces établissements pénitentiaires, qui sont aujourd’hui dans un profond désarroi et qui sont en danger chaque jour dans de telles conditions.
Le Monde relevait dernièrement qu’avec 64 711 personnes incarcérées au 1er novembre 2011, nous allions battre le record d’incarcération. Encore un triste record lorsqu’on sait que la capacité d’accueil des prisons françaises est de 57 268 places et que cette surpopulation carcérale conduit nécessairement aux conséquences très inquiétantes et aux drames humains que nous venons de relater.
Il y a véritablement urgence ! C’est pourquoi, je me joins ici à la voix des associations et des syndicats qui militent depuis de longues années déjà pour soient engagées de véritables réflexions notamment sur la mise en place d’un véritable plan d’urgence « santé » en collaboration avec le secteur hospitalier, en particulier en psychiatrie, mais aussi sur la situation matérielle des lieux de détention avec comme objectif l’encellulement individuel et encore sur la recherche de toutes les solutions d’aménagement des peines avec un droit d’accès individuel pour chaque détenu à mi-peine.